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à la tradition classique, — car on pense bien que nous faisons la part du feu aussi petite que possible et que nous n’abandonnons pas intégralement aux barbares des œuvres où, par endroits, le maître écrivain s’est surpassé lui-même. À partir de Du sang, de la volupté et de la mort, la prose de M. Barrès, qui jusque-là ne parvenait pas toujours à dissimuler une certaine sécheresse, brûlée par le soleil des Espagnes, a pris la tiédeur, la coloration et le parfum d’un fruit mûr. Quoi d’étonnant si, dans la première conscience qu’il a prise de cette transformation, ébloui par les transports d’une imagination qu’il ne se connaissait pas encore, M. Barrès fut tenté d’exalter aussi la sensibilité lorraine en la conduisant à pareille fête ? Erreur sans : doute, mais généreuse et qui n’a pas été sans récompense. Dans l’effort impuissant qu’elle a fait pour sortir de ses limites, cette sensibilité a appris le secret de relever, d’orner sa propre misère. Revenue plus tard à sa naturelle sérénité, elle exaltera désormais, par la magnificence de ses expressions, des sentimens plus modestes, plus vrais et plus simplement humains. Réfractaires au surmenage voluptueux de Delrio, nous l’écouterons sans défiance ni surprise, quand elle célébrera, dans une sorte d’ivresse attendrie et paisible, la douce beauté des paysages lorrains.


Je me livre aux immenses mouvemens doux de la terre lorraine, je contemple ses villages égayés d’arbres à fruits, ses petits bois de hêtres, de charmes et de chênes, je m’enivre de sa lumière douce et noble qui met sur les premiers plans des couleurs de mirabelle et, sur les lointains, un sublime mystère d’opale, de jeunesse et de silence. Je distingue dans la prairie les éphémères colchiques violettes, dans la plaine, les graves villages ; séculaires et sur l’horizon, nos déesses, nos vertus lorraines : Prudence, Loyauté, Finesse, qui sont des personnes immortelles[1].

S’il y a comme le veut Pascal, « des mots déterminans, et qui font juger de l’esprit d’un homme, » M. Barrès, à ne le juger que par son vocabulaire, n’est assurément pas l’égotiste forcené que plusieurs s’attardent à exalter ou à combattre. « Magnifique » et « discipline, » ces deux mots, qui lui sont chers entre tous, suffisent presque à nous découvrir deux des tendances essentielles de sa nature, un immense besoin d’admiration,

  1. Les temples de l’âme au village. Gaulois du 8 janvier 1907.