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Ni l’école de droit, ni les années d’apprentissage littéraire ne semblent avoir modifié sensiblement la première orientation de M. Barrès. Il s’exerce, il s’enrichit, mais toujours dans le même sens. Les cénacles poétiques l’ont admis à leurs séances. Il a lu Renan, Hartmann et d’autres encore ; enfin, ô joie accablante, il a vu de ses yeux Victor Hugo. Au demeurant, le philtre métaphysique et romantique l’entête encore.

« Toujours triste, Amaryllis… « Avons-nous assez aimé cette savante merveille ! Relue de sang-froid, elle ne trahit cependant ni un penseur original, ni un écrivain de race, mais simplement un prestigieux imitateur de l’auteur des Dialogues philosophiques et de celui des Noces corinthiennes. Les autres chapitres, et surtout cette extraordinaire seconde partie qui commence par la bastonnade lyrique de M. Renan, sont de bien autre conséquence. Il y a là nombre de passages que seul il pouvait écrire. Mais enfin, tout le long de son premier livre, l’influence des barbares se fait encore sentir, des barbares, c’est-à-dire, de tous les maîtres, poètes ou philosophes « qui ne sont pas de la patrie psychique » de M. Barrès et qui cependant « veulent le plier à son image. »

L’ingénieuse théorie du culte du moi ne nous explique pas comment l’auteur a pris conscience de cette servitude, ancienne déjà, et que jusque-là il portait avec allégresse. Car enfin, il entendait bien, et dès Nancy, pratiquer cette religion, et ses maîtres barbares, bien loin de lui proposer la suppression de son moi, l’exhortaient plutôt à en grossir démesurément le personnage. La question est de savoir comment, au culte romantique du moi, M. Barrès a été amené à substituer l’acceptation docile de ses propres limites. C’est là, comme nous l’avons dit ; tout le problème, et il faut bien que, dès son premier livre, M. Barrès nous aide à le résoudre.

Non pas, on l’entend de reste, que, dès cette œuvre de jeunesse, il se prononce nettement entre ces deux disciplines. Non ; mais, sans le vouloir, sans presque le savoir, il commence à se déprendre de l’image trop idéale qu’on lui présentait de lui-même, et sur laquelle il essayait laborieusement de calquer sa propre vie. Croyez-en plutôt la longue plainte qui s’exhale presque à chaque page du livre. A n’en pas douter, ce jeune héros se