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homogène, de la quantité abstraite, une poussière partout pareille à elle-même : vous ne découvrirez rien de l’essentiel, c’est-à-dire de l’ordre, des harmonies, du développement rythmique, de la vie profonde de l’univers. Broyez la pulpe d’une fleur, décomposez-la dans vos cornues : vous obtiendrez tels radicaux chimiques, sensiblement les mêmes que dans la pomme de terre, tels élémens chimiques, les mêmes que dans l’air et dans le sol. Qu’aurez-vous appris de la réalité mystérieuse, de la force qui produit l’ordonnance symétrique et la beauté de la fleur, de la vie qui sommeille cachée dans le calice, qui affleure en vermillon admirable à la pointe des pétales irradiés, — qui se concentre et s’exalte enfin dans l’arôme du pistil et des étamines ? Et pareillement, qu’est-ce que la Science connaît de ces modes-là que nous savons les plus importans du monde, — de l’universel vouloir vivre qui s’atteste au printemps par la frêle pointe droite du blé hors de la sombre terre, par la miraculeuse floraison rose aux branches nues de l’amandier, par le bourgeonnement de toute la forêt et le chant des créatures ? Que sait-elle du développement certain de la cellule dans la nuit de la matrice vers la beauté du type et de l’individu, vers la mystérieuse beauté de telle jeune femme ou le génie de tel poète ?

On reconnaît là le point de vue de l’artiste, panthéiste d’instinct, parce que ses intuitions et ses mouvemens de sympathie lui révèlent dans une immédiate évidence ce qui n’apparaît qu’à lui : l’effort propre et profond de chaque être et toute la force animatrice du monde. Non seulement un tel point de vue n’est pas celui du moraliste, mais en général il s’y oppose. Ce nisus qui produit au jour les formes et les pensées, en général l’artiste l’appelle désir, désir plus beau, plus enivrant quand rien, nulle raison, nul décalogue n’en peut maîtriser la véhémence, et qu’il se précipite au désordre. Tout ce qui participe de ce dyonisme de l’univers et le manifeste, — fécondations, travail aveugle des germes et des sèves, parfums extasiés des pollens, concupiscences, langueurs orageuses de la chair, subites transfigura-lions du monde dans la musique et dans l’amour, — pour le poète moderne de la vie, pour un Shelley, pour un Wagner, comme pour l’homme des vieilles religions asiatiques, voilà le divin, d’autant plus intense et adorable qu’avec une fatalité plus magnifique il se déploie par-delà le bien et le mal.