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À l’origine, cet orgueil et cette révolte de la Renaissance. Ivresse du nouveau savoir, confiance joyeuse en des formules que l’on retrouve ou que l’on invente. L’homme croit se suffire : il se détourne de Dieu, et sa vie commence à décroître ; il se détourne de la nature et son art commence à décliner. C’est de lui maintenant et non plus de la nature qu’émane la beauté ; par sa science il prétend en devenir créateur. À la religion de Dieu, il a substitué le culte de cette science et de cette beauté. Après les admirables artistes qui rayonnèrent sur le commencement de la Renaissance, un Léonard, un Michel-Ange, un Raphaël, dont les maîtres, presque aussi grands qu’eux-mêmes, appartenaient à la grave école ancienne et les ont nourris aux vraies sources de l’art et de la vie, on ne fait plus que répéter des procédés, car on croit que c’est leur science (dont ils étaient de force à porter le poids) qui les a faits si grands. Dès lors, l’essentiel de l’art n’est plus de contempler avec émotion, détacher à sincèrement traduire une émotion. Une seule chose importe : la virtuosité de la main, une impeccable exécution où s’attestent avec évidence les formules de l’anatomie et les lois de la perspective. « À partir d’une certaine date, pas un tableau de nativité qui ne change la crèche et la mangeoire en arcade corinthienne. » Car une colonnade classique dans un tableau du XVIe siècle, c’est comme une citation latine dans un discours de la même époque, — une preuve d’érudition, un élément de beauté d’autant plus sûr qu’on ne l’invente pas, et qu’il se garantit de l’autorité des anciens. Surtout c’est un prétexte et de doctes effets de lignes qui convergent en fuyant.

En architecture, le mal est pire. Là aussi règne, l’idéal nouveau de perfection ; mais, pour chaque œuvre, ce n’est plus d’un seul artiste que l’on exige cette perfection, c’est de chacun des mille ; artisans qui mettent ensemble leur labeur pour dresser et sculpter les pierres d’une église ou d’un palais. Or l’artisan n’est capable que de perfection mécaniquement copiée. Il atteint à l’exécution sans défaut, mais au prix de sa pensée, de son énergie, c’est-à-dire de sa vie même, — et ce prix, la pédante Europe de la Renaissance, qui ne voit plus de vérité ni de beauté que dans la grammaire, la rhétorique, les règles, les symétries académiques et les cinq ordres, elle ne le trouve pas trop élevé. Sans joie, ses ouvriers s’appliquent à des oves, des grecques, des cannelures, des consoles ; leurs mains font œuvres de tours