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et nourrissant ceux dont il a charge, chaque groupe en paix avec lui-même, les âmes dirigées ensemble par des mobiles qui ne sont pas seulement l’anarchique appétit de jouissance, mais surtout la foi commune, la foi réelle, efficace des serviteurs et des maîtres au même Christ, aux mêmes saints, au même jugement, et l’idée de la cité qu’il faut défendre et faire belle. De ces disciplines spontanées, d’une telle volonté de forme, de toutes les influences aussi de la nature immédiate, pure et visible à tous, s’exaltaient la vie, la puissance et la beauté des œuvres d’art. Ces hommes ne travaillaient pas en esclaves, avec dégoût, en ne rêvant que de travailler moins, confinés en des bureaux ou de mornes manufactures. Nulle tristesse de tâche mécanique, monotone, déprimante et haïe, mais joie de l’effort naturel, de l’œuvre conçue par l’ouvrier, achevée tout entière de sa main, par une activité complète du corps et de l’esprit, sans crainte ni désir de concurrence auprès de son foyer, non sans qu’il aime pour leur finesse ou leur densité cette pierre ou ce bois qu’il taille ou sculpte au gré de sa fantaisie, non sans qu’il lève les yeux, parfois sur la procession des Alpes souveraines à l’horizon, sur la splendeur impolluée des eaux. De là surtout, de cette mer, de ce ciel, de ces libres campagnes s’épanchaient pour l’artiste les rayons de Vie, de Beauté et de Puissance. Vie des rythmes et des ordonnances de la nature, beauté absolue, beauté type des œuvres divines, de leurs matières, de leurs couleurs, de leurs lignes et de leurs proportions, — puissance enfin de la plaine, de la mer et de la montagne où l’architecte peut apprendre ce que la nature entend par une surface, par un dôme et par un contrefort.

« Quel merveilleux morceau de monde qu’une telle, cité ! Ou plutôt, c’était un monde. Elle s’étendait sur la face des eaux, pas plus haute quand le soir ses capitaines montaient à leurs mâts pour la regarder, qu’une barre colorée de soleil couchant, — mais une barre qui ne pouvait point passer… Sans le sentiment de sa force qui était dans leurs cœurs, ils auraient pu croire qu’ils faisaient voile dans la profondeur du ciel, et que devant eux, c’était une grande planète dont le bord oriental s’élargissait dans l’éther. Un monde dont tout souci sordide, toute mesquine pensée étaient bannis, avec les élémens vulgaires et misérables de la vie, Pas une souillure, nul tumulte dans les rues tremblantes qui se soulevaient ou s’abaissaient sous les influences de la lune. Seulement, la musique ondulante de ces alternances