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La situation s’aggravait d’heure en heure des récriminations, des menaces que, maintenant, Victor-Amédée semait à tous les vents. Il semblait impossible que, pour parler si haut, il n’eût pas noué quelque intrigue à l’étranger, quelque complot à l’intérieur. Et voilà que, brusquement, comme pour donner créance plus grande à ces soupçons, Victor-Amédée faisait savoir à son fils qu’il eût à aller visiter incontinent les fortifications de Fenestrelle, qu’à son retour il lui signifierait ses volontés.

Pas n’était besoin d’être grand politique pour conclure de cet ordre à un prochain coup d’Etat. Victor-Amédée rêvait évidemment la même surprise qu’avait naguère déjouée le retour précipité de Charles-Emmanuel à Turin. Pas plus qu’alors il n’imaginait que son fils osât lui résister, et, de fait, son fils hésitait à désobéir. C’était partie perdue. Orméa joua son va-tout, et partit pour Moncalier.

En le voyant entrer dans son cabinet, Victor-Amédée se dressa, stupéfait de retrouver devant lui cet homme qu’il avait si violemment outragé. L’autre ne se déferra pas. S’enveloppant des plus respectueuses formules, il déclara tout net que son maître, le roi Charles-Emmanuel, n’obéirait pas, n’irait pas à Fenestrelle...

Les ponts, cette fois, étaient à jamais coupés. Tout raccommodement entre les deux princes devenait à jamais impossible. Orméa les tenait l’un et l’autre à sa merci. Que lui importaient, après cela, les furieux anathèmes de Victor-Amédée ? Il regagnait tranquillement Turin, sûr que le vieux Roi lui donnerait à brève échéance l’occasion d’achever son œuvre.

Le hasard voulut, cette fois encore, qu’un prêtre se trouvât là juste à point pour seconder la politique de l’ambitieux ministre. C’avait été à Chambéry Michon, ce petit vicaire qui, derrière son rideau, surprenait les projets de Victor-Amédée. A Moncalier, ce fut ce même abbé Boggio qui, on s’en souvient, n’avait pu l’empêcher d’abdiquer. Convaincu que Boggio l’approuverait de revenir sur cette abdication, le Roi l’avait mandé aussitôt après le départ d’Orméa.

L’abbé d’accourir. A peine entré, il voit pousser tous les verrous.

— Asseyez-vous[1].

  1. Voyez Carutti, p. 398-499.