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pensée ; tu es bien le même jusqu’à ton lit de mort. » Jean Comnène pendant ce temps se demandait de son côté comment il agirait à l’égard de sa mère, de ses sœurs, de Bryenne, de la part de qui il redoutait une tentative de coup d’État. Et lorsque enfin, vers le soir, Alexis acheva de mourir, entre toutes ces ambitions inquiètes, nul ne trouva le temps de s’occuper du mort. Son cadavre demeura presque abandonné. Le lendemain, de bonne heure, on l’enterra en hâte, sans rien donner à ses funérailles de l’éclat des pompes accoutumées.

Les intrigues d’Anne avaient échoué : son frère était empereur. Ce fut pour elle un coup terrible et inattendu. Depuis tant d’années elle espérait l’empire, elle considérait le trône comme un bien légitime et nécessaire, elle se jugeait si supérieure à ce frère cadet détesté. L’audace de Jean Comnène, les hésitations de Bryenne renversaient d’un seul coup l’édifice de machinations si savamment construit. Anne ne s’en consola point, et son ambition déçue, oblitérant tout autre sentiment en elle, alluma dans son cœur des fureurs de Médée. L’année n’était point révolue qu’elle tentait, par un complot, de ressaisir le pouvoir : il ne s’agissait de rien de moins que de faire assassiner l’empereur Jean, son frère. Mais, au dernier moment, Bryenne, de caractère un peu mou, et d’ailleurs médiocrement ambitieux, hésita. Il semblait avoir des doutes sur la légitimité des prétentions de sa femme, et avouait fort nettement que son beau-frère avait tous les droits au trône. Ses scrupules, sa faiblesse paralysèrent le zèle des autres conjurés. Grâce à ces atermoiemens, la conspiration fut découverte. L’empereur au reste se piqua de clémence : il ne voulut aucune exécution et se contenta de confisquer les biens des conspirateurs. Peu de temps après même, sur le conseil de son premier ministre le grand domestique Axouch, il restituait à sa sœur Anne la totalité de sa fortune : humiliation suprême pour la fière princesse, à qui son frère rappelait ainsi, avec une magnanimité un peu dédaigneuse, ces liens et ces affections de famille qu’en un moment de folie elle avait si pleinement oubliés.

Ce qui montre bien la rage furieuse qu’Anne Comnène ressentit de ce dernier échec, c’est l’anecdote que rapporte le chroniqueur Nicétas. Quand elle vit que, par les hésitations de Bryenne, toute l’entreprise manquait, elle, si chaste, si correcte, s’emporta contre son mari en des propos de corps de garde.