Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Homère et les lyriques, les tragiques et Aristophane, les historiens comme Thucydide et Polybe, les orateurs tels qu’Isocrate et Démosthène ; elle lut les traités d’Aristote et les dialogues de Platon, et dans le commerce de ces écrivains fameux, elle apprit l’art de bien dire et « le fin du fin de l’hellénisme. » Elle fut capable de citer couramment Orphée et Timothée, Sapho et Pindare, Porphyre et Proclus, le Portique et l’Académie. Les arts du Quadrivium n’eurent point pour elle de mystère : elle sut la géométrie, les mathématiques, la musique, l’astrologie. Les grands dieux du paganisme, les belles légendes de l’Hellade furent familiers à son esprit ; Héraklès et Athéna, Cadmos et Niobé vinrent tout naturellement sous sa plume. Elle connut également l’histoire de Byzance et la géographie, et elle eut quelque curiosité des monumens antiques : bien plus, elle sut à l’occasion raisonner des choses militaires et discuter avec des médecins sur le meilleur traitement qu’il convenait de prescrire. Enfin cette Byzantine semble, — chose assez rare encore dans l’Orient de son temps, — avoir su même le latin.

Ce n’était pas seulement une femme instruite : ce fut une femme savante. Les contemporains s’accordent à célébrer l’élégance de son style attique, la force et l’aptitude de son esprit à démêler les plus obscurs problèmes, la supériorité de son génie naturel et l’application qu’elle mit à en cultiver les dons, le goût qu’elle eut toujours pour les livres et les entretiens savans, l’universalité enfin de ses connaissances. Et aussi bien il suffit de jeter un coup d’œil sur l’Alexiade, son œuvre, pour y trouver la marque éclatante de ses hautes qualités. Malgré ce qu’on y peut observer d’artifice dans le style, de purisme maniéré et voulu dans la langue, malgré ce qu’on y rencontre parfois de pédantisme et de prétention, on y voit la femme supérieure, l’écrivain de réel talent que fut incontestablement Anne Comnène. Tout cela s’annonçait chez l’enfant. Comme toute Byzantine, elle était fort avertie des choses religieuses, et très versée dans la pratique des livres sacrés. Pourtant, son esprit la portait plus volontiers vers les choses de la science que vers celles de la foi. Elle professait une grande estime pour la littérature, pour l’histoire, persuadée que par elles seules les noms les plus illustres peuvent être sauvés de l’oubli. Sa ferme raison dédaignait d’autre part le surnaturel, les vaines recherches des astrologues, les fausses prédictions des devins. Elle avait voulu goûter à leur