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Lui ne demandait qu’à être persuadé. Telle était, d’ailleurs, sa certitude de se voir obéi au premier signe, qu’il résolut de profiter d’un prochain voyage de Charles-Emmanuel à Evian pour lui signifier sa volonté de reprendre le pouvoir.

Sur ces entrefaites, Blondel, brusquement appelé à Versailles, traversait Chambéry. Arrivé à sept heures du matin, il voyait à huit heures Barbier, le valet de chambre du Roi, venir lui dire que son maître l’appelait en grande hâte au château. Et le Roi d’embrasser comme à son ordinaire Blondel sur les yeux, de le faire s’asseoir, et de lui dire : « Parle, dis-moi tout ; je suis, vois-tu, comme un gentilhomme de province fort curieux de savoir ce qui se passe dans une belle terre qu’il a cédée ; a-t-on suivi ses projets, ses plans ? »

Puis remarquant l’étonnement de Blondel :

— Mais, je t’assure que je ne sais rien : ni mon fils, ni ses ministres ne m’informent plus de quoi que ce soit, depuis ma maladie...

Peu à peu, l’aigreur avait percé si violente dans les discours du Roi et de la marquise, que Blondel, après deux heures de conversation, remonté dans sa chaise, courait à Versailles informer le cardinal de Fleury que quelque extraordinaire aventure se préparait en Piémont.

Sa clairvoyance lui valut, avec force complimens, l’ordre de regagner son poste sur-le-champ. Bien lui en prit, car, durant son court voyage, les événemens s’étaient précipités.

Victor-Amédée persuadé, comme je le disais, qu’il retrouverait, fidèles malgré tout, les dévouemens d’autrefois, avait écrit au marquis d’Orméa, pour lui marquer ses projets.

Sa lettre débutait par des doléances sur la notoire incapacité de Charles-Emmanuel, continuait par des récriminations contre tous les ministres, sauf, bien entendu, celui auquel s’adressait cet étrange réquisitoire, et s’achevait sur un plan de réformes militaires, financières, administratives, que sa très ferme volonté était, disait le Roi, de mener à bien immédiatement. Comme de juste, il priait Orméa de garder précis le souvenir de cette lettre et de la brûler aussitôt lue.

C’était l’homme de toutes les prudences, de toutes les habiletés, le plus fin politique de son temps, qui se livrait ainsi. Orméa en demeura confondu : non qu’il pût hésiter sur la réponse à faire ; mais quelle forme lui donner ? Jamais sa diplomatie