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L’apaisement tardif se faisait sur cette âme fébrile. Elle gardait pour ce frère trop aimé tous ses secrets espoirs, mais elle ne s’agitait plus pour lui. Recluse par sa mauvaise santé, elle écrivait de nouveaux romans : les Malheurs de l’Amour paraîtront en 1747 ; les Anecdotes de la cour et du règne d’Edouard II resteront inachevées. Elle vivait surtout dans ce salon qui était son œuvre, et où elle jouissait des amitiés précieuses qu’elle avait su se conquérir. Peu à peu la considération et le respect s’étaient amassés autour d’elle, et l’on pouvait admirer chez elle en place d’honneur le portrait de son savant ami, Benoît XIV, que Sa Sainteté avait offert lui-même à « sa fille spirituelle. »

Elle n’avait pas d’enfans, ou du moins elle ne s’en souvenait plus. Pour d’Alembert, elle ne l’avait revu qu’une fois et de mauvaise grâce depuis la nuit de l’accouchement : ce n’était encore qu’un petit pensionnaire de sept ans, mais il montra de la gentillesse et eut de jolies reparties : « Avouez, Madame, — murmura Destouches à son amie, dont il avait eu grand’peine à se faire accompagner, — qu’il eût été bien dommage que cet aimable enfant eût été abandonné. » — « Partons, dit Mme de Tencin en se levant brusquement, car je vois qu’il ne fait pas bon ici pour moi. » Etait-ce méchante humeur de femme énervée ou remords d’une maternité encore vivante ? C’est de ce côté que penche la légende, puisqu’elle fait répondre par d’Alembert devenu célèbre à celle qui aurait revendiqué trop tard les succès de son fils : « Je ne connais d’autre mère que la vitrière qui m’a recueilli. » Mais, comme presque tous les mots historiques, celui-là n’a pas été prononcé. Cette entrevue dans un parloir de pension fut leur dernière rencontre ; et le silence, — un silence incompréhensible, — se fit pour toujours entre la mère et l’enfant. Quand elle mourut, on prétendit qu’Astruc n’était qu’un héritier fictif et qu’il devait tout remettre à d’Alembert. Supposition trop bienveillante ! Jamais fils ne disparut plus complètement, semble-t-il, de la mémoire d’une mère. Le 26 janvier 1744, alors que d’Alembert était déjà une jeune gloire, Mme de Tencin écrivait au duc de Richelieu, dont elle faisait sortir les enfans aux jours de congé : « Ils me tourmentent autant que s’ils étaient les miens. Dès qu’ils ont mal au bout du doigt, je suis dans la plus grande inquiétude ; je n’ai rien gagné de n’avoir point d’enfans. »

Ainsi donc, « sans enfans, » elle vieillit et s’usa tout