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III

Cette tragi-comédie clôt définitivement la jeunesse de Mme de Tencin. La femme galante est morte, la femme de salon commence : « Mme de Tencin est toujours malade, écrit en 1727 Mlle Aïssé ; les savans et les prêtres sont presque les seules personnes qui lui fassent la cour. » Ces deux sortes de courtisans vont être le symbole de sa nouvelle vie. Les semaines douloureuses qu’elle a vécues l’ont laissée épuisée. Pendant plus d’un an, elle eut la fièvre presque incessante. Le cœur surtout restait irrité, et cette inélégante aventure, dit ailleurs Mlle Aïssé, « l’aigrissait contre tous les gens dont elle n’avait pas besoin. » Désormais, elle gardera rancune, sinon à l’amour même, du moins aux galanteries faciles, où elle s’était complu jusqu’ici. Les mystérieux inconnus auxquels elle dédiera plus tard le Siège de Calais et les Malheurs de l’amour ; celui qui « était l’Univers pour elle, » celui « à qui elle devait le bonheur d’aimer » ne sont peut-être pas des créatures de rêve. Mais, si elle les a aimés, ce fut sans tapage et « avec toute la décence possible. » Au reste, elle atteignait quarante-cinq ans, et la graisse commençait à l’empâter. Il fallait songer à la retraite. Elle n’était point dévote, elle se fit bel esprit. Non qu’elle eût renoncé aux intrigues politiques, mais ne pouvant plus s’imposer par l’amour, elle voulut se façonner d’autres instrumens de domination. Elle comprit qu’à son âge et dans son siècle, seule la gent littéraire pouvait lui rendre l’honorabilité sociale, et faire d’elle une puissance. La conversion se fit peu à peu : pendant plusieurs années encore le salon de Mme de Tencin resta sans affectation précise ; on y coudoyait plus de jésuites que d’académiciens. Tous néanmoins y étaient également disciplinés et surtout utilisés ; et l’on va voir comment, par la grâce de Mme de Tencin, un médecin et un poète, enrôlés au service d’un archevêque, lui composaient ses mandemens et préparaient les délibérations d’un concile.

Il y avait à peine un an que Mme de Tencin était sortie de la Bastille ; et déjà le frère et la sœur machinaient une grande manifestation pour rentrer sur la scène publique, et y rentrer pieusement. Après avoir cherché le chapeau pour les autres, l’archevêque le cherchait pour lui. Son zèle dévot était d’autant plus vif que son passé était plus compromis. Il avait pris à son