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sommations de son ami. Si le propos n’est pas exact, il n’est pas indigne de son positivisme. Les mémoires techniques où est exposée toute cette affaire sont trop arides pour être discutés ici. Un seul fait apparaît certain. A son ancien ami, qui l’avait peut-être aimée, sûrement aidée, et qui, maintenant inutile pour elle, était acculé à la ruine, Mme de Tencin se déroba avec le plus égoïste sang-froid. Il y eut des pleurs, des menaces, des supplications ; elle ne se laissa point toucher. Par une lettre très habile, d’un ton très digne et presque ému, elle lui fit dire de ne plus songer à la voir : « Quand la tendresse, écrivit-elle, est altérée jusqu’à un certain point, elle ne peut revenir comme elle a été. »

Il jura de se tuer. Mme de Tencin craignit un scandale et crut plus prudent de lui rouvrir quelquefois sa porte. Le 6 avril 1726, il vint la voir au matin. Elle était souffrante. Autour de son lit, sa sœur, son neveu, quelques ecclésiastiques faisaient cercle. Il s’assit, recommença ses habituelles lamentations, puis resta taciturne et pensif. Quelques minutes plus tard, il se lève, l’air égaré, les yeux mornes, passe dans un cabinet voisin sous prétexte d’y écrire une lettre. On entend une détonation ; on accourt : il râlait sur un sofa, le pistolet à la main.

Les Tencin voulaient le silence sur le mort. L’archevêque fit merveille et multiplia les démarches. Le Grand-Conseil fut complaisant : son procureur accepta de recevoir l’affaire, comme si la Cour était directement intéressée par la mort d’un de ses membres. En vingt-quatre heures, dans le plus grand secret, tout fut fait : le constat du décès dressé par le chirurgien, les scellés apposés au domicile du défunt, le corps du pauvre géant empaqueté hâtivement dans une grande bière faite exprès, et le tout, sur injonction de l’huissier du Grand-Conseil, enterré à minuit par le curé de Saint-Roch. Mais La Frenaye s’était réservé une vengeance posthume par un testament déposé la veille chez un confrère, réquisitoire brutal et sans pudeur contre Mme de Tencin. Tout le passé de sa maîtresse y était révélé et sali : elle voulait, disait-il, l’assassiner ; c’était une coquine, une voleuse, dont il appartenait à la justice de faire cesser « la vie infâme. » La justice vint. Le Châtelet, tout heureux de faire sentir sa puissance à une Cour supérieure, affecta d’ignorer la procédure et l’arrêt du Grand-Conseil. Il « contrescelle » sur les scellés déjà posés ; La Frenaye est exhumé ; Mme de Tencin, toujours malade,