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réputation par quelque malhonnêteté inhabile, s’il a commis quelque « peccadille » ou quelque « faute grossière, » elle ne lui ménage ni les avis méprisans ni les « rudes mercuriales. » Mais elle sait dans Paris crier au calomniateur avec la plus vertueuse indignation, rendre Dubois indulgent aux maladresses de son protégé, et en atténuer les effets avant qu’ils soient irréparables, trouver les mots éloquens qui arracheront au cardinal les « quartiers » échus et enrôler au service de l’abbé tout le bataillon de ses amis, l’illustre Fontenelle en tête. Pour ce diplomate novice qui ne sait tenir une plume, M. de Lamotte composera « des lettres de compliment suivant l’occasion, des pensées pour distribuer au Roi, à M. le duc d’Orléans et autres. » Si l’ambassadeur de Saxe-Pologne va à Versailles, il devra se souvenir qu’il y a des archevêchés vacans, et y glisser, s’il le peut, le candidat perpétuel. Tout lui est instrument pour édifier la fortune de son frère. Enfin, en juin 1723, deux mois à peine avant la mort du cardinal, l’abbé de Tencin était nommé prince-archevêque d’Embrun.

Comme il arrive souvent, plus Dubois donnait aux Tencin, plus les Tencin exigeaient de lui. Chaque jour il devenait davantage prisonnier d’une liaison que sa faiblesse libertine avait d’abord acceptée, et qui maintenant s’imposait à lui avec des sommations presque impérieuses, malgré la servilité câline des flatteries prodiguées : « J’ose dire que vous devez m’aimer, » lui écrivait Mme de Tencin en lui réclamant de l’argent. L’abbé, qui sentait bien que tout son fragile avenir était lié à sa sœur, la poussait toujours plus fortement dans les bras de son patron. Il aimait proclamer la chose jusque dans les audiences pontificales : « Puisque votre sœur aime si fort le cardinal, lui disait le Pape en badinant, je ne souffrirai plus qu’elle m’embrasse. » Et Tencin, qui racontait la plaisanterie qu’il avait provoquée, ajoutait à Dubois : « Votre Éminence voit qu’elle est obligée en conscience de dédommager ma sœur de ce qu’elle perd de ce côté-ci. » Dubois se laissait faire : « Vous savez bien, madame, lui écrivait-il, que quand il vous plaira de venir à Meudon, vous serez la bienvenue. » Elle allait donc à Meudon. Elle y alla jusqu’aux derniers jours, tant que l’espoir d’une guérison resta possible. Elle entrait dans la chambre du cardinal malade, seule femme au milieu des intimes, Hénault, Schaub, La Motte, Fontenelle ; et le cardinal, sans