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nu de petite femme, couleur de chamois, sort de sa jupe d’indienne à fleurs, épanouie en volant sur les chevilles cerclées de cuivre. Des bijoux de nez très pauvres, des pendans d’oreilles et un collier de verroteries composent toute sa parure. Et cette enfant rappelle les plus délicates miniatures indo-persanes où des belles attentives respirent avec recueillement une rose, tandis que passent, sur le chemin bordé de piquets fleuris, les cavaliers en robe de drap d’or, montés sur des étalons balsans d’un bleu pâle. Sa mère est morte de misère, je crois ; son père, abruti par l’ivrognerie, promène son inutilité grandiloquente dans ce Genji où ses ancêtres tinrent jadis les forteresses contre les musulmans de Golconde. Avec les pièces de monnaie que je donne à la fille pour ses récoltes de chauves-souris, de lézards et de petits rongeurs, le père s’offre quelques rasades d’eau-de-vie et se console, sans manquer aux obligations d’un homme de caste tchatria pour qui tout travail est péché.

A ne s’en rapporter qu’à ses goûts, l’ancêtre le plus régulièrement établi de notre rhadjpoute serait ce fameux Bhonsla Rao Gohdji qui amena ses Mahrattes devant Pondichéry, au temps ancien ou Dumas en était gouverneur. Le Bhonsla se laissa tenter par quelques bouteilles de la crème des Barbades. Il en but tant qu’il en eut. Puis, pour en avoir d’autres, il proposa la paix. Cinquante flacons de la liqueur de Mme Amfoux satisfirent le Mahratte. Il se retira avec son monde, renonçant à exiger le tribut et la remise de la famille de Chunda-Sahib qu’il était venu réclamer. Du moins la tradition locale le veut ainsi.

Si j’interroge notre rhadjpoute de Krichnapourain, il n’hésite pas à se réclamer des dynasties mahrattes en général, et particulièrement de ce fameux Desing Badjah, de Genji, naïck fameux du XVIIIe siècle, dont la légende nous apparaît comme la dernière protestation du brahmanisme féodal contre la conquête musulmane.


MAURICE MAINDRON.