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pratique. D’abord, il existe un commissaire de la famine, fonctionnaire du Civil Service chargé de secourir et de grains et d’argent les sinistrés, après enquête dans les districts. Ensuite, et depuis plus de trente ans, l’administration s’occupe de multiplier les chemins de fer d’intérêt local pour le transport des céréales. Ainsi les lignes de Villapouram à Vellore et à Dharmaveram furent prolongées pendant les famines de 1876 et 1878.

Si beaucoup de petits propriétaires ruraux, de rayots, comme on dit, sont ruinés à plat pendant ces années terribles, le sort des ouvriers agricoles est encore plus désastreux. En temps ordinaire, ces pauvres gens font partie de la famille du rayot, vivant de sa vie, en partageant la bonne et la mauvaise fortune, dormant sous son toit. Mais quand le rayot ne peut plus rembourser les avances qu’on lui consentit sur les récoltes à venir, quand il se voit menacé d’expulsion, il doit licencier les travailleurs subalternes, premières victimes désignées de la famine, qui perdent du même coup et la subsistance et l’abri. Réduits à l’état de vagabonds, ces paysans sans terre, sans feu ni lieu, s’éloignent avec leur famille, allant au hasard, vers un embauchage incertain.

Alors apparaissent les agens de l’émigration. Ils racolent les hommes les plus robustes et les dirigent sur les dépôts d’où, après engagement légalement contracté, ces laboureurs seront expédiés, avec leur femme et leurs enfans, au besoin comme coolies dans les colonies d’outre-mer. J’ai assisté, dans la place de Vellore, a l’enrôlement de ces coolies. C’est une chose intéressante, et qui montre l’indéniable supériorité des Anglais en organisation coloniale. Quant aux opérations de même genre consenties par le gouvernement français au profit de certains entrepreneurs, vous comprendrez la réserve qui me condamne au silence.

Le talukia de Vellore, quand j’y passai, il y a plus d’un mois, avait perdu, par la famine, un dixième de sa population paria et un vingtième de ses ouvriers agricoles. La plupart de ces Hindous avaient émigré à Maurice, au Natal, à Poulo-Penang, aux Barbades. Les émigrans de Vellore, qui se présentaient devant le sous-collecteur, mon hôte, n’en étaient pas encore arrivés à ce degré de misère physiologique qui se reconnaît, pour l’œil averti, à l’émaciation des bras. Il convient de remarquer, aussi, que ces braves gens s’étaient un peu refaits en