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les poitrines creuses. La peau squameuse s’effrite, on la dirait d’un lépreux. Les membres se décharnent, le ventre se gonfle et ballonne ; le visage garde son expression de morne stupeur, et ces gens s’en vont ainsi, devant eux, sans but, jusqu’à l’arrêt final, au coin d’une friche. Et les chacals arrivent pour disperser les débris.

Au vrai, on souhaite que le sol s’entrouvre pour recueillir ces loques humaines et se referme pour leur épargner les affres dernières de la vie. Il s’entrouvre, mais en étroites crevasses, sous le soleil de feu qui mord sans relâche. Le soleil a tout brûlé, asséché les puits, voire les plus profonds. Seul celui de la Mission garde un peu d’eau fangeuse. Depuis huit années que la pluie fait défaut, les étangs ruraux sont à sec. Adieu les irrigations. La prudence de l’administration se trouve elle-même en défaut. Toute moisson meurt sur pied, le millet, les lentilles, les légumes les plus rustiques, se flétrissent à peine levés. Du riz on ne parle plus, et pour cause. La terre grise, roussâtre ou fauve s’envole en tourbillons poudreux sous les pieds des bestiaux. A la recherche de l’herbe maigre, les bœufs vont par troupes, respectés à l’égal des buffles qui beuglent, privés de leur bain de boue. Les Hindous peuvent mourir de faim, nul ne mangera de la vache. Le meurtre d’une de ces bêtes est tenu pour crime sans nom. Seuls les parias se repaissent de bêtes mortes. Mais ce triste régal leur devient promptement funeste ; une fois remplis de cette chair fétide, ils enflent et crèvent, en troupes, autour des charognes qu’ils disputaient aux oiseaux du ciel. Quant aux riches, ils consomment du mouton, de la chèvre, des poules, nourriture de luxe dont j’ai appris le cours de famine à Genji.

Pour qui n’a pas vu la famine de l’Inde, il est difficile de comprendre à quel degré de misère matérielle l’animal humain peut tomber. J’ai vu les mères aux mamelles taries supplier les autres femmes de donner le sein à leurs petits qui pleuraient la faim, et les maris des nourrices bien portantes conclure d’avantageux marchés. Le fisc anglais ne connaît pas cette détresse. En tout pays d’ailleurs, il faut que l’impôt rende, et il ne saurait dépendre de la plus ou moins-value des récoltes. Le principe, excellent partout, d’ailleurs, du gouvernement anglais de ne point prendre parti dans les affaires des particuliers, doit fléchir dans l’espèce. La dureté des règlemens se tempère dans la