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qui, grâce à Dieu, survit encore aux pillages, aux incendies, aux maladroites restaurations.

A son débotté, le Roi y alla faire ses dévotions ; après quoi, il reçut toute la noblesse du pays, cette brave noblesse savoyarde, toujours un peu inquiète de voir arriver ses princes, car, si elle faisait en leur honneur ce qu’elle devait, elle devait, hélas ! trop souvent ce qu’elle avait fait.

Ce ne fut heureusement pas le cas ; Victor-Amédée ne voulait ni fêtes, ni honneurs.

« Je ne suis qu’un simple gentilhomme comme vous tous, » disait-il avec bonhomie.

Quand même, les Savoyards, si heureux fussent-ils d’en être quittes pour une révérence, regagnèrent leurs tourelles, ulcérés d’avoir vu leur maître embrasser la marquise de Spigno à pleins bras à sa descente de litière. Leur loyalisme, qui se fût accommodé d’une maîtresse, s’insurgeait contre une telle déchéance conjugale.

« Croiriez-vous, écrivait l’un d’eux, que l’intrigante n’avait pas mis pied à terre que déjà le Roi donnait, tout haut, devant nous, l’ordre qu’on dressât, pour elle, un lit, dans sa propre chambre ; c’est à se voiler la face[1]. »

Tandis qu’on se voilait ainsi pudiquement la face à Chambéry, on donnait joyeusement, à Turin, sur l’arrière-garde du Roi. Ce n’était, à la Cour et à la ville, qu’un ouf ! de délivrance. Tout le monde craignait, mais, sauf quelques anciens compagnons d’armes, personne n’aimait Victor-Amédée.

Il avait, pendant son long règne, trompé, humilié, brisé, ruiné trop de gens, pour que ses contemporains lui rendissent la justice que lui a rendue l’histoire. On ne s’élève qu’aux dépens d’autrui ; jamais grand homme ne fut populaire. Victor-Amédée en avait lui-même le sentiment, au point de dire, en montant en voiture : « Il est temps que je m’en aille, je ne suis né que pour tourmenter les autres et moi-même. »

C’était donc à Turin, depuis qu’enfin le rideau était tombé sur cette parodie de Versailles, à qui respirerait le plus bruyamment, à qui rajeunirait le plus vite, anciens usages, traditions surannées. Le Roi, la Reine, bouleversaient tout, modernisaient tout, au hasard de leur fantaisie. L’appartement de la Reine se

  1. Notes inédites.