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vibrent les poussières impalpables, je crois voir un pauvre arbre mort debout parmi les rochers.

Aussi bien ces pauvres gens répètent-ils souvent, à s’y méprendre, la physionomie des singes. Ce matin même, tandis que je soufflais à l’ombre d’un pan de muraille, derrière le Radjah Ghiri, je m’intéressai à un petit berger qui paissait ses chèvres, à cinquante mètres, près de la route de Tirnamallé. Assis à cropetons sur un gros caillou, adossé à un arbre, il laissait son bâton de pasteur reposer contre sa cuisse, et, de ses mains agiles, il fourrageait dans ses cheveux habités. Autour de lui, les chèvres se faisaient rendre un pareil service par des martins, oiseaux insectivores, dont une espèce (Pastor ginjinianus) est très commune dans la région. Ainsi j’admirais ce tableau bucolique quand mon porte-sac me demanda si je ne voulais pas qu’on me passât mon fusil. « Et pourquoi un fusil, malheureux ? — Ça même, monsieur, là-bas, singe même ! » C’était en effet « singe même, » pour parler le langage de nos bons parias de Pondichéry. De main en main, sans hâte, le fusil arriva jusqu’à moi. J’en levai les chiens avec lenteur, et « singe même, » sans se fier davantage en mes intentions, laissant sa posture de berger, s’en fut au trot « à quatre belles jambes » parmi les chèvres qui ne se dérangèrent pas pour si peu. Le grand semnopithèque brun et gris de fer, dont j’avais pris la longue queue pour un bâton pastoral, s’est perdu dans les broussailles sans que j’aie tiré sur lui. Le Muséum pourra blâmer ma conduite : la vie de chacun de nous ne compte pas un jour qui soit exempt de reproche.

Je reviens à mon escalier du Chandraja Dourgan. A mesure qu’on avance, les pierres éboulées se substituent aux degrés réguliers partant du boulevard de la première enceinte, et le long desquels courait une muraille, certainement percée de meurtrières ; il n’en reste plus que des vestiges. La nature même des roches rendait toute autre fortification inutile ; aussi le luxe des enceintes secondaires est-il extrêmement réduit. J’en compte deux seulement qui couronnent les rampes et limitent deux réduits allongés, surtout l’intérieur ; l’éperon du Sud ne possède que son mur extérieur dont la porte regarde les massifs dans la direction de la route de Veltivalam.

Voici enfin le sommet. Deux édifices l’occupent : un mandapam ruiné, et, en contre-bas, une bâtisse carrée, de briques et de