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retrouvent là comme dans les mandapams d’en bas. Et toute la pagode est de gneiss soigneusement équarri, assemblé sans joints et bouchardé. Quelle qu’ait été la perfection du travail, l’œuvre antique des Hindous cède à l’action du temps : tout un côté de la porte menace ruine, par la chute du pied-droit qui gît en travers du péristyle. Rien n’est entretenu. Encore vingt années, peut-être, et il ne restera plus au sommet du Radjah Ghiri qu’un amas de décombres et quelques magasins de briques et de pierres, presque modernes, et dont on peut dire qu’ils ne méritent pas d’exister.

Puissé-je, en terminant, vous parler de tout cela sans rancune : cette acropole de la Grande Montagne, quand on l’aperçoit de la route de Tirnamallé, paraît le plus merveilleux des objets. Pendant vingt années, elle occupa mes rêves. Maintenant que j’ai gravi et descendu, à grand’peine de mon corps, les huit cents marches de granit brûlant, je me sens appauvri, moins riche de l’illusion envolée. Regretterai-je ma peine et dirai-je que, n’était la vue magnifique que l’on a du faite de ces monumens ruinés, le Krichna Ghiri ne vaudrait pas l’ascension, ce serait ingratitude. Il y a deux manières d’apprécier toute entreprise, que l’on s’en tienne au résultat acquis ou à la conscience de l’effort. La seconde m’apparaît comme en tout préférable. Toute passion, toute ambition non satisfaite laisse au cœur une amertume plus durable que la brève joie du succès. J’ai souhaité voir le Radjah Ghiri, en déterrer les trésors. Qu’ai-je à dire ? La pierre de Rama m’a montré le symbole de l’arc tendu, de la flèche rapide, et leur image à jamais fixée. Anouman en altitude d’adorant m’apprend le prix du dévouement obscur, de la force mise au service de la pensée, et les débris des statues couchées à ses pieds, l’instabilité des dominations terrestres et la loi du repos, auquel ont droit les êtres et les choses, quoiqu’ils n’y obéissent point.

Adieu, Grande Montagne de Genji. Les années alourdissent mes membres, et celui que tu vis jadis, jeune et plein d’ardeur, riche seulement de bonne volonté, se consumer d’impatience à ton pied, descend aujourd’hui tes degrés d’un pas plus lourd, sans regarder derrière lui. Il te garde sa reconnaissance. Il salue en toi le témoin délabré et superbe de luttes épiques et obscures que l’histoire a oubliées, mais que la légende conserve, en les changeant de temps et de lieu.