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front, dessiné les flèches de Rama et aussi son arc, un arc renforcé à la prise de main et qui est du type oriental le plus pur, l’arc turquois, à contrecourbes, qui n’a pas varié en vingt siècles… Je continue de monter.

Trop habitué aux déconvenues pour m’irriter contre cette déception, je gravis les degrés brûlans sans enthousiasme ni mollesse, décidé à explorer sans négligence les ruines de Genji, dans le détail. Et derrière moi s’élève la voix du petit domestique porte-arquebuse : « Monsieur, ça même, sous la pierre ronde, les Anglais ont trouvé un trésor ! » Je n’en doute pas un seul instant. Le bouclier de Rama a été changé de place, cependant que des difficultés et des nécessités diverses me retenaient loin de l’Inde dravidienne. Les trésors archéologiques et autres n’attendent pas ainsi indéfiniment. D’ailleurs, je ne crois pas que les trésors aient dormi longtemps sous terre dans des pagodes visitées par les Mahrattes et par les musulmans. Hyder Ali, j’invoque maintenant le témoignage de Soupou, avait des argumens irrésistibles pour obliger les riches de ce monde à dévoiler leurs cachettes.

Je vous fais grâce du canon fameux qu’abrite un mandapam orienté vers le Nord-Est. J’ai consacré deux heures à le métrer, à le jauger, à le décrire sur mon cahier moite de sueur. Son calibre est fort, son caractère nul, son exécution grossière. Il porte le nom de beaucoup d’Anglais et de quelques Hindous qui tenaient à le faire passer à la postérité. Ces gens de bien ont peiné pour graver ces lettres dans la fonte de fer rugueuse et qui semble n’avoir jamais été riflée. La longueur totale de cette caronade du XVIIIe siècle est, de la bouche au bouton de culasse, de trois mètres et demi environ. Il convient surtout d’admirer l’opiniâtreté des hommes qui ont amené une pièce de pareil poids à une telle hauteur. Car nous sommes ici à plus de trois cents mètres au-dessus de la mer.

La pagode culminante du Radjah Ghiri en est à quatre cents. On n’y accède pas sans difficultés ; que, par malheur, le pont volant de bambous, jeté sur l’abîme, se trouve rompu, l’accès en devient impossible, comme j’en fis l’expérience au mois de décembre 1880. Si, en effet, continuant de gravir l’interminable escalier, on arrive en haut du rocher isolé le long duquel nidifient les abeilles, on se voit séparé du fort par une coupure, large de sept mètres, dont les parois abruptes descendent à vingt