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Ainsi parla Cheick Iman ; et j’abandonnai le magasin, continuant ma route vers le Radjah Ghiri…

Entre les roches encaissées, la montée commence. Me voici devant un premier porche surbaissé, d’un grand caractère, que commande ce large perron de dix marches, amorce des huit cents degrés qu’il faut gravir avant que d’accéder au point culminant. Dans un angle rentrant de la longue muraille grise couronnée par les créneaux délabrés, entre deux avancées criblées de meurtrières, s’ouvre cette baie quadrangulaire où trois hommes ne passeraient point de face. Un bandeau uni la domine et encore deux étages de meurtrières, sans préjudice des corniches en surplomb. J’entre, et, ravivé par la fraîcheur de ce réduit obscur, je m’arrête un instant, lâche devant la montée à découvert. Il n’est pas sept heures du matin, mon thermomètre accuse trente degrés. Etanchant la sueur de mon front, je pense à ces obscurs soldats d’Angleterre et de France qui montèrent à l’assaut sous le feu des hommes et sous les rayons de ce soleil de l’Inde, certes aussi meurtrier. Dans la demi-obscurité du porche, sur les banquettes latérales, parmi les piliers en ruines, s’agitent des formes vagues, reptiles qui glissent dans la poudre, araignées efflanquées et boiteuses, lourdes sauterelles livides traînant leur ventre monstrueux avec une tarière en lame de sabre, et palpant les décombres avec leurs antennes longues d’un pied.

L’heure passe. Je dois recommencer de monter, en plein soleil. Autour de moi, les roches s’échauffent, l’air paraît vibrer, pas un souffle de brise n’agite les brindilles flétries. Les blocs de gneiss s’entassent, se superposent, le chaos de granit menace les degrés glissans, et l’ouvrage de l’homme est si grossier, par places, que la pierre taillée a moins de régularité que le roc.

La citadelle qui, elle aussi, continue de grimper, semble naître de la pierre brute, s’en détacher lentement, pour fleurir tout à coup, à l’angle d’un palier sous la forme d’un kiosque élégant, déshonoré par le remplissage de briques et de caillasse, derrière quoi s’abritaient les sentinelles des Maures ou des Occidentaux, après que les divinités de l’Inde eurent déserté ces reposoirs sans retour. De pareils pagotins égayent, à intervalles irréguliers, l’interminable escalier dont les gradins énormes supportaient facilement le poids des éléphans. On dit que les radjahs de Genji avaient leur demeure au plus haut point de la montagne abrupte et qu’ils n’allaient jamais qu’à dos de ces