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n’ont pas d’intrigue ou plutôt celle-ci n’a aucun intérêt en elle-même. Il n’y a pas de dénouement proprement dit à Diana ; il n’y en a pas non plus à l’Égoïste. Ce dernier roman qui est, on n’en peut guère douter, le chef-d’œuvre de M. Meredith, le plus caractéristique de sa manière et le plus expressif de son génie, se passe tout entier en conversations[1].

Ecoutons donc, car il ne faut rien moins que les innombrables propos des personnages pour nous les faire connaître. Ils causent plus qu’ils n’agissent, comme dans la vie où l’action décisive, l’action significative n’éclate que rarement, au bout d’un long défilé de jours ordinaires qui l’ont préparée et amenée. C’est la vie de ces jours que nous représente M. Meredith et elle se déroule au salon, dans le parc, dans la bibliothèque. On dîne, on se promène, on se visite. Les propos s’échangent en commun ou en tête à tête. Chacun livre à travers tout cela un peu de son esprit, de son humeur, de ses goûts, de ses faiblesses ou de ses vertus. Écoutons.

L’attention que demandent de telles œuvres n’est donc pas ce gros intérêt, violemment secoué par les catastrophes et capable de s’accrocher aux péripéties. C’est une attention de tous les instans, assujettie à la marche du récit, aux progrès de l’analyse, aux démarches des personnages et à tous les mouvemens de l’auteur ; assez patiente pour s’attarder avec lui, le suivre s’il s’égare, s’arrêter quand il s’arrête et mettre toujours les pas dans ses pas ; une attention souple, tenace, infatigable et capable d’essor. Si M. Meredith la surmène quelquefois, c’est qu’il excelle à l’éveiller et à l’entretenir. Son expression est une suggestion perpétuelle qui ne nous laisse pas de repos. Elle fait appel tour à tour et sans trêve à notre réflexion, à notre imagination, à notre sensibilité, à notre savoir. La fantaisie, la philosophie, la mythologie se mêlent dans son esprit et se disputent le nôtre. Un des chapitres de Richard Feverel est intitulé the Magian Conflict. C’est un dialogue entre un journalier et un rétameur ambulant, dont l’humble philosophie traduit en son langage — en son jargon — l’antique problème qu’agitaient déjà les mages lorsqu’ils opposaient Ormuzd et Ahriman. Il faut, pour comprendre le titre de ce chapitre, connaître la religion de Zoroastre et avoir surtout la perspicacité de l’y reconnaître.

  1. Voyez, sur l’Égoïste, la belle conférence de M. Emile Legouis. (Revue germanique, juillet-août 1905.)