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une lointaine beauté. Le monde s’éclaire et se colore, en nous et hors de nous. Les romans de M. Meredith débordent de poésie, comme ces belles demeures anglaises qui disparaissent sous le chèvrefeuille, les pampres ou les roses, dès qu’un pied de chaque arbuste, solidement enraciné dans le sol, étreint les murs de ses vivaces rameaux et projette en tous sens le rayonnement de ses branches, l’épanouissement de ses fleurs.

Dans ce monde auquel la psychologie du romancier donne une vérité si précise et son imagination une poésie si vivante, les personnages sont des individus, non des types. Les voici dans toute leur complexité, leur singularité, qui les dérobe aux prises de nos classifications et de nos divisions. Il n’y a pas de science du particulier, et ce sont bien là des êtres particuliers, tels que nous en présente la réalité. Nous les avons montrés tantôt plus spécialement anglais, tantôt d’une vérité humaine plus générale. Ce n’est pas leur valeur documentaire ou leur signification qui nous intéresse ici, mais la manière même dont ils sont conçus et traités. On chercherait en vain dans notre littérature — classique, romantique ou naturaliste — un pareil procédé. Notre génie est dramatique et les personnages de nos romans sont, au sens où la critique littéraire prend ce mot, des caractères, je dirais volontiers des rôles, personæ dramatis, subordonnés à l’action et n’existant guère que dans la mesure où ils y participent. L’action, ici, au contraire, leur est subordonnée. Elle est essentiellement psychologique et intérieure ; elle se déroule lentement, avec les mille plis et replis de ces individualités complexes, dont elle épouse, en quelque sorte, les sinuosités, afin de nous conduire à travers leur dédale. Le plus souvent il n’arrive rien aux personnages, mais la manière même dont il ne leur arrive rien, dit un critique anglais, est impressionnante. C’est que les secrets de leur pensée et de leur cœur nous sont insensiblement livrés. Nous pénétrons ainsi dans leur intimité ; nous n’ignorons plus rien de leurs sentimens ni de leurs idées, de leur conduite, de leurs mœurs, de leurs manies : ils nous deviennent familiers et cette connaissance minutieuse, toute concrète, qui n’a rien de scientifique, est celle qui convient à l’art et en fait l’image de la vie. Mais elle échappe aux formules, comme l’action se dérobe aux péripéties et reste indépendante de l’intrigue. Les romans les plus caractéristiques de George Meredith, l’Égoïste, Diana of the Crossways, Beauchamp’s Career,