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convention[1]. » C’est la vérité des âmes, des sentimens, que recherche l’auteur et nous trouvons chez lui le réalisme psychologique d’un Stendhal. Il introduit ses personnages et les rapproche n’importe comment. Une visite lui suffit, moins encore : une rencontre. L’artifice est si simple, le procédé si monotone que nous en serions bien vite excédés, si nous ne détournions notre attention vers le véritable intérêt du roman, qui est l’analyse des sentimens et des caractères.

À cette acuité singulièrement précise d’analyse l’auteur ajoute une finesse de sensibilité qui lui fait recevoir et garder de vives images. Il y a en lui un impressionniste, riche des plus rares trésors. Rien ne lui sera plus facile que de faire surgir devant nous la réalité tout entière sous son double aspect, le monde extérieur et le monde intérieur, celui des sens et [celui de l’âme, rapprochés, comparés et parfois confondus dans une même vision qui les embrasse l’un et l’autre, les associe, perçoit leurs relations les plus intimes, utilise leurs analogies, Les domine, pour tout dire, et en dispose de manière à nous surprendre, nous faire réfléchir et nous charmer. Lorsque Clara commence à juger son fiancé et à se détacher de lui, lorsqu’elle ne peut plus supporter sans une sorte de terreur ses assiduités, l’égoïste Willoughby, qui ne pense qu’à lui-même et ne voit que lui, se fait à contresens plus empressé et plus tendre. Où trouverions-nous rendue avec plus d’intensité, de bonheur et d’audace, cette impression de jeune fille : « Le gouffre d’une caresse s’enfla devant elle comme une énorme vague qui se creuse sous sa crête frisée. Clara se baissa vers un bouton d’or ; le monstre passa près d’elle sans la toucher. » La poésie sort ainsi du cœur même des choses, où George Meredith, artiste autant que psychologue, en atteint les sources vives. Sa divination pousse jusqu’aux racines mêmes de la vie qu’il transplante dans le jardin de son art. Nous étonnerons-nous qu’une merveilleuse floraison fasse éclater à nos yeux charmés l’éternelle nouveauté du monde ? Tout est rajeuni : la nature, l’amour, la souffrance et la joie, nos sentimens et nos instincts. Pour cet esprit pénétrant et intuitif, il n’y a plus rien d’insignifiant ni de banal : tous les tressaillemens de notre sang, toutes les manifestations de notre intelligence, tous les élans de notre âme — blood, brain, spirit — prennent un sens et

  1. Sandra Belloni.