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match de tennis. George Meredith les reconnaît. Il aime retrouver et suivre, derrière les arabesques de la vie sociale ou sentimentale, le dessin élémentaire des instincts primordiaux.

Car ce romancier est un psychologue, d’une pénétration singulière. Son esprit, comme un feu subtil, dissout les ensembles que la vie lui présente et, pour nous en faire mieux saisir la structure, les reconstitue sous nos yeux. Ses romans sont des synthèses réfléchies et volontaires, postérieures à l’analyse et fondées sur elle. S’ils n’ont rien de la fiction où se joue une fantaisie détachée du réel, ils ne se bornent pas non plus, comme ceux d’un Maupassant, par exemple, à laisser la vie renaître en eux sous l’image expresse de sa première forme. La manière de M. Meredith n’est pas de celles qui puissent permettre aux faits de se rendre eux-mêmes. Son imagination est constructive. Elle n’a pas la transparence qui réfléchit le monde, mais l’activité qui le reconstitue. L’auteur est une sorte de démiurge qui nous prodigue, au fur et à mesure qu’il crée, explications et commentaires. Et peu à peu pourtant l’illusion de la vie s’insinue en nous ; peu à peu, malgré l’activité que l’auteur déploie sous nos yeux, nous avons la sensation de la réalité ; car il est un réaliste, à sa manière qui ne ressemble à aucune autre. Elle se rattache d’abord au réalisme anglais, c’est-à-dire à ce contact avec la réalité que gardent si aisément des esprits positifs, naturellement étrangers à notre besoin logique de simplification et de système. Quand, par exemple, après cette soirée où Sandra lui a livré tout son cœur, Wilfrid s’enfuit pour ne pas s’engager définitivement dans la voie où un moment d’ivresse lui a fait mettre le pied, M. Meredith analyse les dispositions du jeune homme avec une finesse impitoyable, et il conclut : « Tout ceci n’est pas précisément très désintéressé ni très noble. Beaucoup de bonnes âmes vont s’indigner et prendre Wilfrid en grand mépris. A tort ou à raison, je ne saurais, quant à moi, partager ce sentiment. Il s’agit d’un très jeune homme, pur de tout mauvais dessein, de toute lâche pensée, mais peu sûr de lui-même et des autres, d’un enfant gâté qui n’a point l’habitude des décisions viriles, d’un garçon timide que le ridicule épouvante. [La veille au soir, dans une bagarre, il avait été quelque peu défiguré.] A défaut de tout autre mérite, il a celui d’être vrai, d’obéir naïvement à ses instincts, d’être une créature de chair et d’os, non pas une poupée de