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épreuve de Richard Feverel. « Que les femmes disent ce que nous sommes pour elles ; pour nous, elles sont le recul ou le progrès de la vie, Lesbie ou Béatrice : à notre choix… Elles sont ce que nous renfermons de meilleur ou de pire[1]… »

A notre choix : nous sommes les ouvriers de leur destinée, responsables donc de leur avilissement ou de leur noblesse. M. Meredith combat pour la femme, mais se place bien au-dessus du féminisme. S’il veut qu’elle ait des droits, un esprit et une âme, il est aussi loin que possible de lui assigner comme idéal l’indépendance d’un individualisme solitaire. A ses yeux, la vie complète est dans l’union, dans l’amour. La femme y apporte cette spontanéité qui l’apparente au poète, cette beauté qui nous fait chérir en elle le plus pur miroir de la beauté du monde, cette spiritualité enfin dont est capable sa nature moins matérielle et plus subtile, dès qu’elle n’est pas détournée de sa véritable fin. Diana Warwick, Sandra Belloni, Clara Middleton, voilà ce que vous apportez à ceux qui sont dignes de vous, à ceux que l’épreuve a révélés les plus forts et les meilleurs, vraiment hommes et, pour tout dire d’un mot, des caractères. Ceux-là ont remporté la véritable victoire et seuls ils peuvent rencontrer le bonheur, parce que seuls ils vivent dans le sens même de la vie…


IV

Comment cette inspiration, si simple en somme et si sensée, si mesurée, si « moyenne, » s’est-elle traduite en un art si complexe, si intense et si tourmenté ? Rien n’est plus essentiel au génie de M. Meredith que la forme même de ses romans, leur technique originale, leur style. Ce n’est point assez, pour expliquer son œuvre ou du moins en évoquer la physionomie, d’écarter ce qui nous déconcerte en elle, de mettre en lumière ce qu’elle a de local et d’humain : il faut encore, il faut surtout dégager et préciser ce qu’elle a de personnel, car jamais personnalité ne fut plus qualifiée ni plus irréductible ; et de même qu’une analyse de la comédie de Marivaux doit nous conduire à pénétrer le sens et à saisir les secrets du marivaudage, de même on ne saurait étudier les romans de M. Meredith sans en venir, en fin de compte, a ce que la critique anglaise appelle déjà « meredithese. »

  1. The Egoist, cha. XXXIII.