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glissent trop souvent nos regards indifférens, inattentifs ou blasés, une signification inconnue, qui apparaîtra soudain quand la main de l’artiste écartera le rideau familier. Le génie n’invente pas : il indique du doigt le cœur des choses, et nous frémissons devant la réalité dévoilée. Ce n’est pas cette réalité qui est nouvelle, mais notre impression : c’est sur notre esprit qu’il travaille, et dans notre esprit qu’il crée.

Les romans de M. Meredith semblent se proposer de faire lever dans notre esprit une vision du monde tel qu’il est, de la vie prise comme un fait, avec ses élémens essentiels et ses facteurs fondamentaux, de l’homme et de la femme considérés aussi sous leur vrai jour, dans leur nature réelle et leurs justes relations. Tout cela, bien entendu, non point théoriquement, dans l’absolu, mais aux simples clartés de l’observation, aux leçons de l’expérience, aux seules lumières de la sincérité courageuse. La vie n’est point jugée au nom d’un système, mais elle impose au contraire à l’esprit des vérités qu’il fait ensuite rayonner sur elle pour éclairer ses replis les plus secrets. Chaque exagération se réfute alors elle-même par les démentis qu’elle s’attire, les contradictions qu’elle suscite, les conséquences qu’elle entraîne. Pour celui qui regarde simplement, honnêtement la vie, il n’est pas d’excès qui ne se révèle tel dans les faits. La vie droite se tiendra donc entre les excès opposés. « Notre civilisation est fondée sur le sens commun. Si vous voulez vivre sainement, il faut commencer par en être persuadé[1]. »

Cette conviction guidera non seulement notre conduite, mais nos jugemens. Nous verrons avec clarté, avec sérénité, les écarts en l’un ou l’autre sens, et ce désaccord de la vie sociale avec la vie droite éveillera en nous l’esprit comique.


Lumineux et vigilant, il ne dépasse jamais les hommes et ne traîne jamais en queue… La destinée à venir des hommes sur la terre ne l’attire pas. Leur honnêteté et leur beauté présentes l’intéressent ; et chaque fois qu’ils deviennent disproportionnés, boursouflés, affectés, prétentieux, enflés, hypocrites, pédans, fantastiquement délicats ; chaque fois qu’il les voit s’abuser eux-mêmes, ou aller à l’aveuglette, se déchaîner en idolâtries, dériver dans les vanités, amonceler des absurdités, projeter avec imprévoyance, comploter follement ; chaque fois qu’ils sont en désaccord avec les opinions qu’ils professent, et violent les lois non écrites, mais reconnues, qui les engagent à une considération réciproque, chaque fois qu’ils

  1. Essai sur la Comédie.