Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais nous devrons commencer par reconnaître, si nous voulons éviter la duperie des mots, que cette « philosophie » est avant tout une négation des systèmes en ce qu’ils ont de partial et d’exclusif. Tout système s’attache à un aspect des choses et, après l’avoir considéré comme s’il était unique, arrive insensiblement à l’affirmer tel et à nier tout le reste. Ainsi se posent et s’opposent ces termes extrêmes sur lesquels s’épuisent nos facultés dialectiques : optimisme et pessimisme, plaisir et devoir, loi et liberté, matière et esprit, soi et autrui… Si la pensée se dérobe aux prises de ces simplifications, si tout en restant assez souple pour se plier à la réalité multiple, elle est assez ferme pour s’y attacher, elle saura bientôt se servir des systèmes au lieu de s’y asservir et les fera tourner à une intelligence plus large de la vie qui les condamnera l’un par l’autre, et les dépassera tous. Il semble bien que ce soit là le point de vue de M. George Meredith. C’est aussi celui du sens commun. Mais l’équilibre instable où se tient sans savoir pourquoi ni comment la moyenne humanité, ce juste milieu où la pousse et l’arrête l’antagonisme des forces extrêmes, l’artiste peut l’atteindre par une intuition directe et profonde, capable de pénétrer au cœur des choses. Le plus beau système est une géniale partialité ; la philosophie d’un grand artiste, — d’un dramaturge comme Shakspeare ou Molière, d’un poète comme Hugo, d’un romancier comme Meredith, — n’est le plus souvent qu’un sens commun sublime.

Un critique anglais appelle George Meredith, the prophet of sanity, le prophète de la santé[1]. C’est cela même. Il est venu apporter aux hommes de vieilles vérités dans un évangile rajeuni qui les a fait paraître nouvelles. Et de fait elles le sont, puisqu’elles se révèlent dans un jour nouveau, et qu’on ne saurait séparer, sinon par la plus factice des abstractions, une vérité de la lumière qui, à bien dire, ne l’accompagne pas, mais la constitue et l’impose. C’est seulement grâce à cette lumière que nous voyons pour la première fois ce qui était sans cesse sous nos yeux sans frapper nos regards ; c’est grâce à elle que nous comprenons enfin, que nous savons… Il ne faut donc pas s’attendre à trouver des idées bien originales chez M. Meredith : aussi bien n’est-ce pas l’affaire du romancier. Regardons agir les personnages, écoutons parler les faits. Il y a, derrière les apparences sur lesquelles

  1. G. M. Trevelyan, ouv. cité.