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Tess d’Urbervilles de M. Thomas Hardy, ses Woodlanders, ou The Return of the native sont à cet égard comme Richard Feverel ou Diana of the Crossways. Que de promenades, que d’averses, que de nuits dans les bois ou sur les grandes routes ! Quand Richard va sortir enfin du mauvais enchantement où l’a comme immobilisé la grande crise de sa jeunesse, à l’heure même où son cœur tourmenté s’agite dans les dernières convulsions, quand il va comprendre la vie, comprendre l’amour, voici que « la nature parle[1]. » Un orage éclate dans la forêt. Le déluge vient apaiser le désir de la terre, et le jeune homme goûte un sauvage plaisir à se sentir inondé. Soudain l’haleine des reines-des-prés monte jusqu’à lui ; le parfum de ces fleurs qui est là, sur les pentes d’une colline rhénane, lui rappelle sa première scène d’amour, l’éclatant et radieux matin anglais où il rencontra Lucie. Qu’a-t-il fait de son bonheur et de son amour ?… Il se baisse et sa main cherche la fleur dans les ténèbres. Elle rencontre quelque chose de tiède qui bondit à son contact ; mais elle l’a saisi : c’est un tout petit levreau que son chien avait effrayé. Il le cache sous son vêtement contre sa poitrine et continue sa marche rapide. Là-bas, en Angleterre, un enfant vient de lui naître, vers lequel tout son être est maintenant tendu. « Et voici qu’il se laissait aller à une étrange sensation qu’il éprouvait. Cela montait le long de son bras avec un indescriptible frémissement, sans rien communiquer à son cœur. C’était quelque chose de purement physique, qui s’arrêtait et recommençait jusqu’à ce qu’il en fût envahi : tout son sang tressaillait d’une façon singulière. Il s’avisa que le petit être qu’il tenait sur sa poitrine lui léchait la main. Maintenant qu’il connaissait la cause, il n’y avait plus rien de merveilleux ; mais maintenant qu’il connaissait la cause, son cœur était touché et en faisait plus de cas. Le doux chatouillement continua sans interruption tandis qu’il marchait. Que lui disait-il ? Le langage humain n’aurait pu être à ce moment même aussi expressif. » L’orage est fini, la nuit cède à l’aurore, l’univers respire : les collines sont baignées de soleil et Richard, à la lisière de la forêt, voit devant lui une plaine couverte de blé mûr qui s’étend sous l’espace infini d’un ciel matinal…

Une humanité en contact si direct, en communion si intime

  1. The Ordeal of Richard Feverel, XLII : Nature speaks.