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n’a pas renoncé à ses idées ni à son action ; il a épousé la fille adoptive de son maître. Maintenant le jeune homme est mort. Les deux rivaux se retrouvent près de la dépouille de celui qu’ils ont aimé et qui brave, loyal, hardi, était bien, après tout, du sang du vieux comte. « Ma femme est allée près de Mrs Beauchamp, dit-il ; elle l’amènera avec le bébé à Mount Laurels… Je vous prends avec moi : il ne faut pas que vous soyez seul. »

Non moins profondément que dans la tradition, l’Anglais est enraciné dans la nature. Sans doute est-ce surtout parce qu’il est moins adonné à la vie sociale. Quelles que soient les raisons, le fait est là, et nous le retrouvons dans les romans de George Meredith. Nous avons certes le sentiment de la nature et nos prosateurs depuis Rousseau, nos poètes depuis le romantisme en ont donné les plus splendides témoignages. Mais si notre sensibilité nous associe à la vie des choses, si notre imagination prête des couleurs à la nature ou lui en emprunte, si l’art, en un mot, ou ce qu’il y a d’artiste en chacun de nous, s’inspire des aspects de la terre et du ciel, nos regards sont incontestablement tournés vers le côté humain de la réalité ; ils aiment la contempler tout entière dans le miroir de l’âme. La vie anglaise est une plante vivace, arrosée de pluie, gonflée de sève, trempée de fraîcheur et battue des vents. Sa poésie a des gouttelettes de rosée, des parfums de pétales mouillés. Les romanciers anglais, — nous l’avons remarqué déjà à propos de M. Thomas Hardy[1], — ne détachent pas l’homme de la nature qui le soutient, l’enveloppe, l’absorbe quelquefois. Il en est sorti, il y tient encore par mille fils et à tout moment il y rentre. C’est une familiarité intime, dont les liens ne se relâchent que pour se resserrer bientôt davantage. On a dit d’une des plus charmantes jeunes filles de M. Meredith, Clara Middleton, qu’en elle transparaît l’Oréade[2]. Presque toutes ont quelque chose de la beauté, de la grâce, de la force de la nature : Vittoria, souple, ardente et fine comme les paysages de sa patrie ; Rhoda Fleming, robuste et saine comme la campagne anglaise où s’est passée sa jeunesse ; Carinthia, hardie et pure comme les sites grandioses d’Autriche parmi lesquels elle a grandi… On peut dire que la plupart des grands romans anglais se passent dehors.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1906.
  2. Henriette Cordelet, La Femme dans l’œuvre de Meredith. (Revue germanique, mars-avril 1906.)