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leurs actes. Jeu passionnant, travail fécond : encore faut-il en être capable, vouloir s’y donner et le pouvoir. Ce n’est pas le cas de tous, et à tort ou à raison, jusqu’à M. George Meredith, on demandait au roman tout autre chose.

Faut-il donc reprocher à ce romancier d’en avoir élargi le cadre et regretterions-nous qu’il eût montré un esprit trop original et trop novateur ? Non certes. Et c’est à nous de ne pas nous révolter contre une originalité à la fois dédaigneuse et impitoyable, qui nous parle complaisamment sa propre langue, sans nul souci que nous l’entendions ou non. Tout l’esprit de société est dans cette maxime favorite de notre XVIIe siècle, que « l’honnête homme parle pour se faire entendre. » M. George Meredith, au témoignage même d’un de ses plus sagaces admirateurs, M. Marcel Schwob, « ne pense ni en anglais, ni en aucune langue connue : il pense en meredith. » A nous de nous initier à cette pensée et d’apprendre cette langue ! Se mettre à notre portée, l’auteur ne daigne. En cela, il ressemble à nos « décadens » et telles de ses pages, le Prélude de l’Égoïste par exemple, font penser à M. Stéphane Mallarmé. Gardons-nous cependant de les détacher de l’ensemble autrement riche et complexe auquel elles appartiennent et qui donne à leur difficulté son véritable caractère ; gardons-nous de confondre l’excès d’une originalité réelle avec l’effort exaspéré, maladif, vers l’originalité. La personnalité de M. George Meredith est si forte qu’il ne peut être autre qu’il n’est. Nous n’avons plus alors le droit de nous en offenser et c’est au contraire notre devoir de l’accepter, de nous élever jusqu’à lui.

Il faut en prendre notre parti : M. Meredith ne fera rien pour nous rendre la tâche moins ardue. Il semble plutôt avoir la coquetterie de sa manière et se faire un point d’honneur de nous l’imposer. Deux de ses chefs-d’œuvre, Diana of the Crossways et l’Égoïste, s’ouvrent par des dissertations à peu près inintelligibles, qui pourraient suffire à empêcher le lecteur d’aller plus loin. Les cinquante premières pages de One of our Conquerors nous défilent les associations d’idées qui se succèdent dans l’esprit de M. Victor Radnor à la vue d’une tache de boue sur son gilet blanc.

Nulle part le sujet n’est exposé, nulle part il n’y a présentation proprement dite des personnages, presque jamais l’intérêt ne se concentre dans des épisodes. De menus détails interminablement se succèdent ; les visites alternent avec les promenades