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Origines : elle en forme, si l’on peut dire, la conclusion philosophique et morale. Peu de mois après la publication ici même des articles sur l’Église, il écrivait encore : « Pour la religion, ce qui me semble incompatible avec la science moderne, ce n’est pas le christianisme, mais le catholicisme actuel et romain ; au contraire, avec le protestantisme large et libéral, la conciliation est possible. » Et l’on sait quel commentaire pratique il a, par ses funérailles protestantes, fourni à cette conception. Mais, d’autre part, il se rendait bien compte que le protestantisme, comme il l’avait dit, « est contre la nature du Français ; » et, pour tout concilier, ses exigences philosophiques, ses aspirations morales et ses observations d’historien réaliste et patriote, il eût été heureux de pouvoir dire du catholicisme ce qu’il disait du protestantisme. Il me semble que ce sentiment perce à plus d’une reprise dans la dernière partie des Origines[1]. En 1887, il écrivait à sa femme : « Lisez, dans le Scientific Monthly, un article du Révérend Freemantle sur la conciliation du christianisme avec la science ; plût à Dieu qu’un prêtre catholique français pût écrire de pareils articles ! Nous n’aurions pas les discours de M. Madier de Montjau et autres de la dernière séance[2]. » Mais les préventions de sa philosophie ne lui permettaient pas de s’attarder à ces regrets, et, en remettant la question à l’étude, de les convertir en espérances. Le pas qu’il n’avait pas franchi, quelques-uns de ses disciples, plus complètement informés et moins prévenus, devaient le franchir après lui. Pour lui, il se débattait parmi ces douloureuses « antinomies » sans parvenir à les résoudre. Il n’est pas douteux que la vision très nette qu’il en avait n’ait fortement contribué à renforcer son pessimisme croissant des dernières années. Ce pessimisme, qui se répand avec une si large impartialité sur les diverses parties des Origines, s’exhale, plus acre encore et plus direct, dans les lettres de la même époque. « Dégoûté de ses drôles, » — les Jacobins, — « regrettant le temps où, écrivant sur la littérature, il n’avait

  1. Cf., entre autres passages, ces lignes qui terminent et résument le livre de l’Église : « Au demeurant, en France, le christianisme intérieur, par le double effet de son enveloppe catholique et française, s’est réchauffé dans le clergé, surtout dans le clergé régulier, mais il s’est refroidi dans le monde, et c’est dans le monde surtout que sa chaleur est nécessaire. » (T. XI, p. 188.)
  2. Vie et correspondance, t. IV, p. 244-245. — Cf. aussi p. 154, dans une lettre à M. Charles Ritter, ses objections pratiques contre les illusions, ou les espérances. du protestantisme libéral.