Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Berthelot, qu’il laisse là son Kant, un philosophe surfait dont pas une théorie n’est debout aujourd’hui et qu’Herbert Spencer ; Stuart Mill, toute la psychologie positive ont relégué à l’arrière-plan derrière Hume, Condillac et même Spinoza. » « J’ai lu l’ouvrage (la Critique de la raison pure), écrivait-il à Max Muller, la plume à la main, dans ma jeunesse, et à mesure que j’avançais en âge, les objections se sont multipliées dans mon esprit. » « Je diffère, écrivait-il encore, je diffère absolument de Spencer sur le fond des choses ; je ne crois point du tout qu’il soit inconnaissable ; surtout, je n’admets point que le fond de l’esprit soit inconnaissable. » « Je n’ai aucune disposition mystique, » déclarait-il à un autre correspondant ; et je crois qu’il se trompait sur lui-même, et qu’il avait vu plus clair en lui, le jour où il exposait à Paradol les principes d’un mysticisme scientifique et « raisonnable. » Mais le mysticisme, il le plaçait dans l’ordre de la connaissance rationnelle : ce qu’il appelait, d’un mot d’ailleurs inexact, la Science, lui inspirait les mêmes transports, les mêmes « ravissemens, » la même infinie confiance, que sa religion au plus enthousiaste des croyans. On nous rapporte à cet égard un mot qui le peint tout entier : « Je suis le contraire d’un sceptique, — c’est M. Chevrillon, son propre neveu, qui parle, — nous dit-il un jour, tout à la fin de sa carrière. Je suis un dogmatique. Je crois tout possible à l’intelligence humaine. Je crois, qu’avec des données suffisantes, celles que pourront fournir les instrumens perfectionnés et l’observation poursuivie, on pourra tout savoir de l’homme et de la vie. Il n’y a pas de mystère définitif. » Telle était l’origine de son opposition intime au catholicisme, et cela dans les momens mêmes où il en parlait avec le plus d’intelligente sympathie : on se rappelle les pages célèbres qui, dans les Origines, terminent les chapitres sur l’Eglise : d’un accent moins âpre, elles affirment aussi nettement que le premier article publié ici même par Taine, l’opposition radicale, absolue de « la conception scientifique » et de « la conception catholique du monde. » Sur ce point essentiel, il n’a jamais varié, et, à cinquante ans d’intervalle, l’état d’esprit de sa quinzième année, tel qu’il s’exprime dans le morceau sur la Destinée humaine, lui dictait encore les mêmes conclusions.

Ce n’est pas que, parfois, il n’ait eu, semble-t-il, quelque regret d’en être réduit à maintenir ses anciennes conclusions. Ne nous lassons pas de citer les Origines : « Il n’y a que lui [le