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l’être sur ce point. En 1849, « majeur depuis huit jours, » il se déclarait « incapable de voter pour deux raisons. La première, — écrivait-il à Paradol, — est que, pour voter, il me faudrait connaître l’état de la France, ses idées, ses mœurs, ses opinions, son avenir. Car le vrai gouvernement est celui qui est approprié à la civilisation du peuple. Il me manque donc un élément empirique, pour juger du meilleur gouvernement actuel. Je ne sais ce qui convient à la France. » Admirable — et un peu puéril — scrupule, — car enfin, une vie entière suffirait-elle à bien remplir cet idéal programme ? — et scrupule qu’on eût souhaité retrouver dans un ordre d’idées plus digne de lui. Comment un esprit aussi consciencieux, aussi pénétrant, aussi élevé que celui de Taine n’a-t-il pas senti que, pour répudier définitivement une croyance, une doctrine qui a soutenu la vie morale de tant de nobles âmes et de hautes intelligences, il y avait lieu de la soumettre à un examen plus approfondi que celui d’où, à quinze ans, il était, si promptement, sorti résolument incrédule ? « Peu de personnes, a dit profondément Renan, peu de personnes ont le droit de ne pas croire au christianisme. » Ce droit, Taine ne l’a jamais sérieusement acheté.

C’est qu’à vrai dire la foi nouvelle qu’il a embrassée de toute son ardeur à vingt ans est devenue aussitôt en lui une religion véritable. Il faut lire, dans la Correspondance de jeunesse, les lettres éloquentes qu’il adresse à Paradol pour le convertir à ses croyances ; il faut entendre de quel ton de tristesse passionnée il gourmande, nouveau Polyeucte, — le rapprochement est de lui, — le mobile et si cher ami qu’il veut sauver du scepticisme, et qu’il surprend en flagrant délit de « nonchalance pour la vérité : » « Regarde, mon ami, combien tu es déjà malheureux, combien cette ardeur pour l’action, cette sensualité de désirs, cette fougue irréfléchie qui erre de tous côtés, ne sachant où se prendre et cherchant à se fixer, combien tout cela affaiblit ton corps, ta volonté et ta pensée… Que puis-je, sinon te donner mon exemple ?… Je saurai, je croirai ! Je sais déjà et je crois ! Ah ! si tu voulais ! » Et ailleurs : « Avec mon adoration pour les vérités de raison et la confiance absolue que j’ai dans le pouvoir de l’intelligence, je ressemble à un catholique qui ne sait parler que de l’Eglise et de la foi. Mais, du moins, je puis prouver ce que j’avance… » Et ailleurs enfin : « Mon bon ami, que tu as raison de trouver la science mystique.