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une part égale de vérité ; ou plutôt, il me sembla que toutes les opinions étaient probables ; je devins sceptique en science et en morale ; j’allai jusqu’à la dernière limite du doute ; et il me sembla que toutes les bases de la connaissance et de la croyance étaient renversées.

Je n’avais lu encore aucun philosophe ; j’avais voulu conserver une liberté entière à mon esprit, une indépendance complète à mon examen. Aussi j’étais plein à ce moment d’une joie orgueilleuse ; je triomphais dans mes destructions ; je ma complaisais à exercer mon intelligence contre les opinions vulgaires ; je me croyais au-dessus de ceux qui croyaient, parce que, lorsque je les interrogeais, ils ne me donnaient aucune bonne preuve de leur croyance ; j’allais toujours plus avant, jusqu’à ce qu’un jour je ne trouvai plus rien debout.

Je fus triste alors ; je m’étais blessé moi-même dans ce que j’avais de plus cher ; j’avais nié l’autorité de cette intelligence que j’estimais tant. Je me trouvais dans le vide et dans le néant, perdu et englouti. Que pouvais-je faire ?…


Ce fut le vrai moment de la vraie crise. Crise philosophique, et non pas crise religieuse ; crise d’intelligence, et non pas crise de conscience. Le christianisme est bien loin désormais, et on ne lui fera même plus l’honneur d’examiner les solutions qu’il propose. Cependant, il fallait vivre, et penser. Et dans cette âme pleine d’activité et de sève, extraordinairement avide de science certaine, faite pour croire, et non pour douter, « préservée » d’ailleurs par sa volonté « de ces passions brutales qui aveuglent et étourdissent l’homme, » le scepticisme ne pouvait être que provisoire. « Toute mon âme se tournait donc vers le besoin de connaître, et elle se consumait d’autant plus qu’elle réunissait toutes ses forces et tous ses désirs sur un seul point. »


Pendant les premiers mois de la classe de philosophie [1847-1848], cet état me fut insupportable ; je ne trouvais que des doutes et des obscurités. Je ne voyais que des contradictions dans les philosophes : je jugeais leurs preuves puériles ou incompréhensibles… Moi-même, irrité de l’inutilité de mes efforts, je me jouais de ma raison ; je me complus à soutenir le pour et le contre ; je mis le scepticisme en pratique. Puis, fatigué des contradictions, je mis mon esprit au service de l’opinion la plus nouvelle et la plus poétique : je défendis le panthéisme à outrance ; je m’attachai à en parler en artiste ; je me complus dans ce monde nouveau et, comme par jeu, j’en explorai toutes les parties. Ce fut mon salut.


« L’opinion la plus nouvelle et la plus poétique : » on ne saurait trop admirer la parfaite candeur et l’absolue sincérité de ce fragment d’autobiographie morale. Ce qu’il n’avait trouvé ni dans le christianisme, tel qu’il le connaissait, — en dépit de