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convaincu que lorsque enfin la comtesse eut étalé devant lui, sur la table, le détail du trousseau dont elle avait la commission.

Rien n’y était oublié : draps à faire venir de Hollande, dentelles à commander à Bruxelles, à Valenciennes, soieries à demander à Lyon. Boucheron enfin, le meilleur élève de Germain, devait fournir une argenterie complète pour dix-huit personnes.

— Et ces magnificences sont destinées, ajouta la fine mouche, que l’ahurissement de Blondel jetait dans une joie folle, à une jolie nièce milanaise dont le Roi vient de doter la comtesse. La jolie nièce doit se marier au premier jour. Ainsi s’expliqueront ces galantes prodigalités.

Les deux augures durent, j’imagine, s’égayer de la trouvaille ; Blondel n’en manda pas moins en grande hâte la nouvelle à Versailles et à Rome ; on en fit à Versailles et à Rome des gorges chaudes fort embarrassantes pour le marquis Maffei et pour le marquis d’Orméa qui représentaient, le premier près du Roi, le second près du Pape, Sa Majesté Sarde. Tandis que Maffei niait discrètement, Orméa s’en prenait avec violence de ce sot bavardage au cardinal de Polignac, alors ambassadeur de France près du Saint-Siège. Le vrai est que, bien renseigné par Blondel, le cardinal, qui ne pouvait souffrir Orméa, lui avait joué le vilain tour de confier, en grand secret, l’amusante aventure à tout le monde...

Et voici qui ajoutait au piquant de la trahison. Orméa, à mille lieues de soupçonner qu’il pût s’agir de son maître, venait précisément d’obtenir de Clément XII, pour certain grand-croix de Saint-Maurice, qu’on ne lui avait pas nommé, licence d’épouser une veuve. Or, la chose était à ce point interdite par les statuts de l’ordre, que le marquis s’était partout vanté d’un succès qui, maintenant, le couvrait de ridicule.

Pour n’être pas calomnie, la nouvelle n’en avait pas moins pris toutes les allures. De Versailles et de Rome, elle était revenue à Turin, y avait couru la Cour, puis gagné la ville ; chacun de s’en scandaliser, jusqu’au Roi qui, revenant de la messe certain matin, disait de son air le plus offensé : « Je n’ignore rien des bruits malséans que l’on fait courir sur mon compte ; si l’on ne respecte pas ma vieillesse, qu’on respecte au moins mon caractère. Je veux bien, pour cette fois, ne pas rechercher les auteurs de la fable qui circule, mais je leur conseille de ne plus croire, désormais, à leurs folles imaginations. »