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les yeux du public. Il est possible, ou il est probable qu’à la prendre dans son ensemble, la Correspondance, telle que nous l’avons, ne donne pas une idée complètement adéquate de l’homme qui s’y laisse voir ; d’aucuns la trouveront sans doute, et avec raison peut-être, trop exclusivement intellectuelle, trop impersonnelle aussi ; ils y eussent souhaité plus d’intimité, plus de familiarité, plus d’abandon. Ils auraient tort d’ailleurs d’en conclure que l’auteur de ces lettres fut incapable d’intimité et d’abandon ; ils doivent se résigner à prendre ces quatre volumes pour ce qu’ils sont en réalité : des documens pour servir à l’histoire d’une pensée. Considérée sous cet aspect, la Correspondance remplit admirablement son objet, le seul du reste qu’on ait voulu poursuivre ; et il semble bien qu’à cet égard on nous ait livré tous les faits, tous les textes essentiels. Les amateurs de psychologie indiscrète, les collectionneurs d’anecdotes peuvent être déçus ; les historiens de la pensée de Taine donneront toutes les « curiosités » qu’on a cru devoir nous dérober pour les pages sur la Destinée humaine, pour la lettre sur le Disciple, pour tel fragment d’examen de conscience littéraire, pour quelques-unes des notes personnelles où, à la suite d’une conversation intéressante, l’écrivain des Origines résumait son impression toute spontanée sur les hommes et sur les choses. Voici, par exemple, un joli crayon de Flaubert :


Un grand vigoureux homme un peu carré, à grosses moustaches, l’air assez lourd, l’apparence d’un capitaine de cavalerie déjà fatigué et qui aurait pris des petits verres. De la force et de la lourdeur, voilà le trait dominant de sa conversation, de son ton, de ses gestes. Rien de fin, mais de la franchise et du naturel ; c’est un homme primitif, « un rêveur et un sauvage. » Il a dit lui-même ces deux derniers mots. C’est un piocheur obstiné, qui force son imagination et qui en subit les accidens.


Voici maintenant un portrait de Sainte-Beuve :


L’impression dominante, quand on le voit, c’est qu’il est timide ; il parle doucement, bas, avec insinuation et nuances, avalant certaines syllabes trop franches. Il a quelque chose d’un chanoine ou d’un gros chat méticuleux, prudent. Une tête irrégulière, blafarde, un peu chinoise, crâne nu, avec de petits yeux malins, et un sourire doucereux, fin. Positivement, il y a un fond ecclésiastique, homme du monde. Puis, des éclats et des éclairs, la franchise, la force de croyance font explosion.


Et voici Renan à son tour :