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la veuve Scarron de lui masquer Mme de Maintenon, Victor-Amédée n’apercevait la marquise de Spigno derrière Mme de Saint-Sébastien.

Plus jeune, moins fervente peut-être, moins docte assurément, celle-ci était cependant femme à jouer un jeu aussi serré que sa devancière de Versailles. Chacun savait à Mme de Saint-Sébastien les quarante-cinq ans qu’elle ne paraissait pas avoir, tant on la trouvait fraîche encore, tant ses yeux, ses cheveux étaient noirs, ses dents belles ; tant ses lèvres, son teint, gardaient d’éclat. Née avec beaucoup d’esprit, d’esprit d’intrigue surtout, capable de conseil et de volonté, la comtesse semblait la femme la plus futile du monde à qui la voyait aller, venir, toujours avenante, avec l’allure libre de quelqu’un qui ne regrette, ni ne désire rien.

Bien cahotées pourtant avaient été ses étapes depuis cette première, qui l’avait amenée toute jeune et pimpante à la cour de Madame Jeanne-Baptiste, jusqu’à cette dernière qu’un caprice sénile allait lui faire franchir. Il y avait cependant, — et ceci le rendra moins ridicule, — une sorte de survie dans ce caprice royal. La prime jeunesse de Victor-Amédée s’était fort divertie des jolies filles d’honneur dont Madame Jeanne-Baptiste tenait sa cour, une des plus lestes de l’Europe, toujours bien approvisionnée. Or, parmi les plus charmantes fleurs de cette plate-bande, qu’il fourrageait à souhait, le Roi avait distingué, trop distingué assurément, Mlle de Cumiane, car la régente, — toujours indulgente à ce qu’elle appelait les faiblesses d’un grand cœur, — s’était hâtée de la marier au comte de Saint-Sébastien ; mariage dont il n’y avait rien à dire, le mari et la femme étant de fort bonne maison tous deux.

Puis, après quelques années d’assez misérable vie conjugale, la dame était devenue veuve. Victor-Amédée l’avait, d’ailleurs, absolument oubliée, comme tant d’autres, comme cette pauvre comtesse de Verrue, à qui il décochait cette par trop édifiante oraison funèbre : « Pourquoi s’étonner qu’une femme qui a trompé son mari et le Bon Dieu trompe aussi son amant ? »

Mais encore rien n’est fragile comme la componction du diable qui, sur le tard, se fait ermite. Un mot, un regard suffisent à ce qu’il se ressouvienne de son âge victorieux.

C’est précisément ce qui arriva certain soir que Victor-Amédée trouvait la comtesse de Saint-Sébastien tout en larmes