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à notre examen, c’était comme si ces figures-là, plus vivantes que nous et d’une trempe plus forte, nous eussent elles-mêmes dévisagés d’un coup d’œil pénétrant, tantôt amusées et tantôt froissées de notre intrusion. Ainsi, entre les plus pures créations du génie des peintres, sinon au-dessus d’elles, le mystérieux génie de Velasquez avait créé pour nous une humanité immortelle, opposant à ces chefs-d’œuvre de beauté des chefs-d’œuvre de vie.

Que si, au reste, nous avions besoin d’une preuve plus directe, pour nous rendre compte de l’abîme qui sépare les portraits du maître sévillan de tous les autres portraits peints avant ou après lui, nous découvririons cette preuve sans avoir à quitter le musée du Prado. De toute la suite des prodiges de mouvement et de couleur que nous fait voir, dans ce musée, l’incomparable Rubens, aucun peut-être n’atteint d’aussi près l’idéal de vie accessible à la peinture que le grand portrait équestre de l’Infant Ferdinand au combat de Nordlingen, imposante figure d’une élégance et d’une noblesse vraiment souveraines, incarnation parfaite de la victoire, toute baignée d’une atmosphère de joie triomphale. Mais comme cette figure nous apparaît, simplement, un beau rêve de peintre, quand nous la comparons à une autre image du même Infant Ferdinand, évoqué par Velasquez, dans le même musée, debout en costume de chasse, un fusil dans les mains, avec un grand lévrier assis près de lui ! Ici, le personnage qui se dresse devant nous n’a plus rien d’allégorique ; et c’est à peine si nous nous avisons d’admirer le délicat relief avec lequel les formes harmonieuses du jeune chasseur se détachent sur la perspective lointaine d’un paysage montueux et boisé. Nous ne songeons qu’à l’homme en chair et en os qui est là, devant nous ; et toute l’allure de son corps est si naturelle que nous nous attendons à le voir se remettre en marche, suivi de son chien, dès qu’il aura fini de nous regarder ; et son long visage est si vrai, si éloigné de la vie toute factice des visages peints, qu’aussitôt nous y reconnaissons une ressemblance très proche avec les physionomies des deux frères de Ferdinand, le roi Philippe IV et l’Infant don Carlos, tout en distinguant ce que ce visage-ci a de plus fin, comme aussi de plus énergique et de plus profond. Au lieu du héros symbolique qui, dans le tableau de Rubens, proclame son exploit avec une allégresse surnaturelle, l’Infant de Velasquez est un jeune gentilhomme espagnol d’une individualité si précise qu’il nous suffit de l’apercevoir pour deviner sa race, sa famille, son tempérament, toutes les particularités de son être physique et moral. La figure peinte par le maître flamand