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muette encore, les genoux du héros, la voix grêle d’un haut-bois s’élève seule, et la demeure royale, et l’Aulide, et la Grèce entière, s’emplissent d’un long sanglot. Enfin c’est une symphonie, un peu dans la manière des maîtres, — non pas, il est vrai, leur grande manière, — que l’ouverture d’Iphigénie en Aulide. Elle commence par les quelques notes, capitales, qui seront les premières de l’ouvrage et soutiendront les premières paroles, essentielles aussi, d’Agamemnon : « Diane impitoyable ! » Ainsi le sujet tout de suite est posé. Mais, après ce début dramatique, l’ouverture se développe musicalement et parfois, à cause de ce développement même, en suivant le prologue symphonique, en ut majeur, du vieux Gluck, on songe à la première symphonie, qui sera dans le même ton, du futur et jeune Beethoven.

Rassemblées au cours de l’œuvre, sans jamais en rompre l’unité, ces formes diverses peuvent même composer ensemble, et très fortement, une scène isolée. On trouve un peu de tout dans le premier monologue d’Agamemnon. Il commence par une sorte d’arioso très court, que suivent quelques mesures de récit. Puis vient l’air fameux : « Brillant auteur de la lumière ! » avec l’admirable « tournant » mélodique sur ces mots : « Dieu bienfaisant, écoute ma prière ! » Un bref récitatif encore, la reprise ensuite, à l’ancienne mode, et, comme péroraison, trois ou quatre vers jetés avec épouvante sur le plus simple, mais le plus pathétique trémolo, frisson ou convulsion d’horreur, dont tout l’orchestre est secoué. Rappelons-nous ce passage de l’épître dédicatoire d’Alceste : « J’ai imaginé que l’ouverture devait prévenir les spectateurs sur le caractère de l’action qu’on allait mettre sous leurs yeux et leur en indiquer le sujet ; que les instrumens ne devaient être mis en action qu’en proportion du degré d’intérêts et dépassions ; et qu’il fallait éviter surtout de laisser dans le dialogue une disparate trop tranchante entre l’air et le récitatif, afin de ne pas tronquer à contresens la période et ; de ne pas interrompre mal à propos le mouvement et la chaleur de la scène. » Par les exemples que nous avons choisis, peut-être aura-t-on vu que le musicien même d’Iphigénie en Aulide a rempli son programme et que, dès son premier chef-d’œuvre en France et pour la France, il a, fuyant la monotonie, cherché le changement ou le mélange, l’indépendance et la variété.

Quelque chose encore, s’il ne fallait finir, mériterait ici d’être étudié. C’est ce que Nietzsche appelait la transmutation des valeurs, autrement dit la transposition d’un chef-d’œuvre poétique, tel que