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la tragédie antique, rassemble en soi tout l’accent et tout l’effet, toute l’émotion et toute la beauté. Pour estimer l’avantage, sur la voix qui ne fait que parler, de la voix qui chante ou récite musicalement, il ne faut qu’entendre celle-ci prononcer et nuancer, en quelques notes, le nom seul d’« Iphigénie. »

Enfin le récitatif ici déjà donne toute sa mesure. La furieuse, la sublime invective d’Achille à Agamemnon restera l’un des chefs-d’œuvre et, par la date au moins, le premier, de ce genre de lyrisme éperdu. En l’écoutant s’emporter, s’exalter jusqu’au paroxysme, on y croit reconnaître en puissance tous les récitatifs des héros futurs, — et des héros ténors, — du « grand opéra français, » d’Arnold et de Robert, d’Eléazar, de Raoul, et du prophète Jean. C’est ici l’origine d’un genre, ou d’un style, et ce moment de la première tragédie lyrique de Gluck est vraiment gros, comme eût dit Carlyle, d’au moins un siècle de beauté.

Avec cette beauté, verbale ou récitative, bien d’autres, toutes les autres, sont constamment unies. Dans les dialogues et surtout dans les monologues : au second acte, celui d’Agamemnon, et celui de Clytemnestre au troisième, il n’y a d’égal au récitatif libre que le récitatif obligé, celui que des motifs ou des mouvemens, et non plus de simples accords de l’orchestre accompagnent. La brièveté de ces figures instrumentales, pareilles à des raccourcis audacieux, ne fait qu’en accroître et le sens et la force. Pour exciter et porter au comble l’angoisse et d’avance les remords d’Agamemnon parricide, il suffit de demi-gammes sifflantes, que dis-je, de beaucoup moins encore : de deux notes chromatiques et qui montent, sœurs farouches de celles qui, près d’un siècle plus tard, souligneront l’ordre donné par Iseult à Brangaene, de préparer le philtre de mort. Sans compter qu’en de pareils passages, les formes mélodiques à demi se mêlent aux formes à demi récitatives, et ce mélange, très libre, annonce aussi de loin, avec plus d’aisance et moins de surcharge, la continuité du discours wagnérien.

Musicien dramatique, il arrive tout de même à l’auteur d’Iphigénie d’être un pur musicien. Le grand souffle mélodique inspire des « airs » nombreux. Ils sont aussi peu démodés et vieillis, aussi débordans au contraire de passion, de vie et de vérité immortelle, que les « tirades » de la tragédie racinienne, ce genre ou cet idéal poétique dont l’opéra de Gluck, et lui seul, est la transposition et l’équivalent sonore.

L’orchestre même ici ne saurait passer pour un élément secondaire, encore moins sacrifié. Tandis que la mère douloureuse embrasse,