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à la musique de Gluck d’être une musique monotone. On pourrait aisément leur faire voir combien, au contraire, elle a de variété. Et cependant, pauvres critiques que nous sommes, qui de nous parfois n’essaya, pour les soi-disant besoins d’une théorie ou d’un système, d’enfermer dans une formule unique le génie d’un grand musicien, et plus qu’on ne croit divers ! Mais justement parce qu’il est un des grands, des très grands, il échappe à nos restrictions et brise nos cadres.

Dramatique et verbale, il serait difficile sans doute de ne pas rapporter d’abord la musique de Gluck à ces deux caractères éminens. Il ne serait guère plus aisé de l’y réduire. Gluck, on le sait, ne manqua jamais de se donner pour dramaturge plutôt que pour musicien. Un de ses derniers critiques, et justement à propos d’Iphigénie en Aulide, en rapporte ce témoignage : « Corancez, l’un des amis du maître, s’étonnait un jour en sa présence de la note longue écrite sur le premier je que chante Agamemnon dans l’air : « Je n’obéirai point à cet ordre inhumain. » — « Cette longue note vous a-t-elle également choqué au théâtre ? » lui demanda Gluck. Je lui répondis que non. « Eh bien ! ajouta-t-il, je pourrais me contenter de cette réponse. » Mais, loin de s’en contenter, il la fit suivre d’une vive mercuriale et conclut en ces termes : « Votre question ressemble à celle d’un homme qui serait placé dans la galerie haute du Dôme des Invalides et qui crierait au peintre qui serait en bas : « Monsieur, qu’avez-vous prétendu faire à cet endroit ? Est-ce un nez, est-ce un bras ? Cela ne ressemble ni à l’un ni à l’autre. » Le peintre lui crierait de son côté, avec beaucoup plus de raison : « Monsieur, descendez, regardez et jugez vous-même[1]. »

Pour un trait de ce genre, dans la seule Iphigénie, il s’en rencontre vingt autres, dont la beauté dramatique et verbale mériterait la même apologie. Faut-il rappeler, dans l’air célèbre de Clytemnestre implorant Achille, sur le dernier de ces mots : « Elle n’a que vous seul, » un point d’orgue (autrement dit un long silence), et l’impression qu’en effet il nous donne, de la solitude et de l’abandon ? De même dans le premier acte, à l’approche d’Iphigénie que les dieux semblent amener au supplice, lorsque Calchas triomphant s’écrie : « Ils y traînent déjà ses pas, » c’est sur le mot traînent que se concentre l’intention et l’intensité de son cri.

Un nom quelquefois, autant qu’un mot, un de ces grands noms de

  1. Gluck, par M. Jean d’Udine ; dans la collection des Musiciens célèbres, Paris, H. Laurens.