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l’affaire, découvrir la vérité, diriger les juges, conseiller les ministres, protéger le roi, et faire triompher l’innocence. Il se donne tant de mouvement, et il garde à travers ses combinaisons machiavéliques et ses dangereuses négociations tant d’aisance et de belle humeur ! Il est si gai ! Ce drame de ténèbres est tout illuminé par cette gaieté irrésistible. Vous avez reconnu l’homme renseigné, le mystérieux justicier du drame romantique. Mais il n’est ni sombre, à la manière de ses aînés, ni solennel et emphatique. On sent bien que, s’il se mêle ainsi de tout ce qui ne le regarde pas, c’est que cela l’amuse. Il s’appelle l’abbé Griffart. Cet abbé de petit collet, plus gazetier qu’abbé, s’est, à l’heure même, échappé des galères pour venir remettre un peu d’ordre et de justice dans le monde, à un instant où le monde en a grand besoin. La confession d’un camarade galérien lui a mis en main le fil de toute l’odieuse conjuration. Aussitôt, en brave homme qu’il est, il s’est rendu auprès du lieutenant de police, La Reynie, qui, par un hasard vraiment extraordinaire en cette époque d’ancien régime, se trouve être un non moins brave homme. Ils sont deux ! Ils se comprennent. ils se reconnaissent, ils pourront faire de bonne besogne. Toutes les portes s’ouvriront devant le joyeux abbé, toutes les langues se délieront, toutes les consciences se livreront. Dès la première rencontre, la Voisin, qui pourtant devait être une maîtresse femme, le prend pour confident et se laisse prendre pour dupe. Il assiste à la messe noire, où pourtant on ne devait pas entrer comme au moulin, et le soir où elle se célèbre pour Mme de Montespan ! Peut-être, ayant vu tant de choses, se résoudrait-il à en garder pour lui le secret. Mais on accuse une innocente, Mlle d’Ormoise. Laisser accabler l’innocence ! Griffart y perdrait plutôt son nom, avec la liberté. Tour à tour menaçant l’un, amadouant l’autre, il arrive jusqu’aux ministres, jusqu’à Louis XIV. Il leur parle avec une belle franchise. Il leur trace leur devoir. Il arrache la victime à ses persécuteurs. La bêlante Mlle d’Ormoise ne paiera pas pour les crimes de l’altière Montespan. Content de son œuvre, heureux du succès remporté pour autrui, l’abbé peut maintenant rentrer dans l’humilité du sage... On voit le tour de force ou plutôt le tour d’adresse. L’affaire des poisons n’est plus que le cadre à la figure sympathique et joviale de Griffart ; elle n’est que le prétexte à faire éclater sa noblesse d’âme et sa bonhomie. La pièce finit au mieux. Nous sortons du théâtre, non pas oppressés et angoissés, mais délivrés d’un cauchemar. Nous sommes disposés à trouver l’humanité excellente. Et nous comprenons à quoi servent les crimes dans l’ordonnance générale du meilleur des