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celui de la sagesse même, celui qu’on a toujours le plus de peine à suivre. Nous nous rendons tout de suite compte que Claire ne se conformera pas à l’avis de sa sage amie. Elle brûle d’avouer. L’aveu, c’est sa fantaisie, son caprice, sa marotte du moment. Elle avouera à la première occasion. Elle lancera au travers de l’intimité conjugale ce secret qu’elle ne peut, qu’elle ne veut plus retenir... Comme dit l’autre : c’est raide.

Une femme avouant à son mari qu’elle aime un autre homme, la situation n’est pas nouvelle dans notre littérature : c’est celle de la princesse de Clèves avouant à son mari qu’elle aime M. de Nemours. Cette invention romanesque parut, à l’époque, singulièrement hardie et fit scandale. Et pourtant nous savons ce qui a déterminé à cet aveu l’épouse inquiète et ce qu’elle en attend. Le secours qu’elle ne trouve plus en elle, à qui le demander, sinon à celui dont les mœurs et la religion ont fait son défenseur ? elle n’a pas commis la faute et craint seulement sa propre faiblesse. Et rien que pour cela, M. de Clèves va mourir désespéré, Mme de Clèves inconsolable va s’enfermer dans un couvent.

En ce temps-là, une héroïne de roman, — même dans les romans écrits par des femmes, — s’arrêtait au bord de la faute. Nous avons changé tout cela. La littérature moderne ne connaît ni ces scrupules, ni ces pudiques atténuations. Quand une femme se décide à « avouer, » c’est qu’elle a de quoi dire. Encore, pour nous faire admettre qu’elle en vienne à une telle extrémité, faut-il nous montrer qu’elle y a été poussée par quelque force irrésistible. C’est, trompée elle-même, le besoin de la vengeance ; c’est la colère ; c’est l’emportement qui fait lâcher la parole irréparable, celle qu’ensuite on voudrait rattraper au prix de toute sa vie, et qui vous fera pleurer des larmes de sang. Tout le monde, à ce propos, a évoqué le souvenir d’Amoureuse.

Il eût fallu amener l’aveu de Claire par un concours de circonstances tout à fait exceptionnel. Ces circonstances, je n’ai pas à les fournir aux auteurs, et je m’en réjouis. C’était à eux de les combiner ; et c’eût été un bel effort d’invention psychologique. Peu à peu nous aurions été conduits à déclarer nous-mêmes que, pour sortir de cette situation extraordinaire et pour se tirer de cette impasse, un seul moyen restait à Claire. Nous l’en aurions plainte, excusée, admirée peut-être. Mais cela n’était possible qu’avec du temps, après qu’un lent travail se serait fait en nous.

Ce qui eût été non moins indispensable, c’était de nous faire connaître