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européen dans un pays barbare. On rendra la situation plus lamentable encore si l’on augmente les prêts. Il est toujours question, cependant, de nouveaux prêts à faire au Sultan. Le Livre Jaune fait connaître que, en septembre 1906, l’ambassade d’Allemagne insistait vivement pour que les banques françaises se missent d’accord avec la maison Mendelsohn pour faire au Makhzen une avance de 10 millions ; il paraît résulter, il est vrai, du texte que cette avance aurait eu surtout pour objet de rembourser des créances antérieures de cette maison allemande.

On parle d’un grand emprunt, les uns disent de 100 millions, d’autres vont jusqu’à 150, qu’il serait utile, sinon nécessaire, de faire au Sultan pour dégager complètement sa situation, assurer son autorité et lui permettre de remettre le pays en état. La vraisemblance est que ces 100 ou 150 millions seraient, pour la plus grande partie, gaspillés sans laisser de traces, comme l’ont été les 62 millions de l’Emprunt français de 1904 et toutes les sommes postérieurement prêtées au Maroc. Le Sultan, un an ou deux après cette opération, serait plongé dans une détresse pire que celle d’aujourd’hui. Puis, comment se procurerait-on cette somme et sur quoi la gagerait-on ? On dit que, après l’annuité pour le service privilégié de l’Emprunt français de 1904, il resterait encore libre 40 p. 100 environ du produit des douanes ; mais, il faut aussi que les encaissemens des douanes pourvoient aux 2 millions et demi de francs que coûtera, d’après la convention d’Algésiras, sinon même aux 3 millions et demi, évaluation plus réelle, l’entretien de la police des ports. Puis, si l’on prélève, pour une dette toujours croissante, la totalité des recettes des douanes, c’est-à-dire la seule branche certaine des ressources de l’Empire, comment le Makhzen pourra-t-il vivre ? On a parlé d’établir le monopole du tabac et de gager sur ce monopole l’emprunt de 100 ou 150 millions. L’impôt sur le tabac, remanié récemment en Algérie, y produit 5 à 6 millions. Mais comment espérer un rendement pareil dans un pays aussi désorganisé que le Maroc ? Dira-t-on que la France pourrait donner sa garantie à cet emprunt éventuel de 100 ou 150 millions ? Ce serait d’abord charger certainement et lourdement le contribuable français ; puis, il faudrait suivre et contrôler l’emploi de cet emprunt, ce qui supposerait la mainmise préalable de la France sur le pays. Alléguera-t-on comme précédent la garantie donnée par la France à la ligne ferrée de la Medjerda en Tunisie plusieurs années