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main basse : le 20 mai, il fut déclaré en état d’arrestation, et gardé à vue chez lui.

Entre Vicari et ses prêtres, toutes communications furent suspendues. Alors, d’un bout à l’autre du grand-duché, le silence endeuillé des cloches parut symboliser cette condamnation de l’archevêque au silence. De-ci, de-là, certains fonctionnaires exigèrent qu’elles sonnassent ; la piété des fidèles les jugea profanées. Vicari captif parlait encore ; il parlait soudainement, par la voix d’un poète alors très à la mode, Oscar de Redwitz. La pièce s’intitulait : « Appel du pasteur. »


Je suis sur le bord de la tombe, criait Vicari ; ô Dieu, tu m’as rajeuni. Mon bras lassé peut soutenir le bouclier de la sainte bataille. Dans les ténèbres, tu gardes mon œil lumineux, toutes les blessures mortelles n’épuisent pas le sang de mon cœur.

Tu le sais, mon Dieu, je n’aime pas la lutte : mon étoile, c’est la paix. A quatre-vingt-un ans, on aime vraiment cette étoile. Je ne pensais plus qu’à m’équiper pour le combat de l’agonie ; mais il en est autrement, les âmes l’exigent.

Tu les as confiées à mes vieilles mains ; tu veux que je sauve la liberté de ta fiancée. Pourtant, vois, je ne puis parler, on m’a fermé la bouche ; j’envoie tes messagers, ô Dieu, prêche pour moi !


C’est ainsi qu’Oscar de Redwitz, réputé grand poète dans l’Allemagne du temps, s’essayait à donner une voix à ce vieillard séquestré. La bureaucratie badoise apprenait à mesurer cette force incoercible, l’opinion, à laquelle l’année 1848 avait donné l’essor : au bout de huit jours, les arrêts de l’archevêque furent levés. Le gouvernement insista pour qu’il différât tout acte archiépiscopal jusqu’à la conclusion d’un accord avec Rome : il répondit en publiant, le jour de la Pentecôte, un nouveau mandement, où son énergie ne fléchissait point, et les fonctionnaires se vengèrent en l’attaquant dans la presse, comme « un parjure et un faible d’esprit, qui se laissait fourvoyer par un tas de fanatiques, d’illuminés et de têtes folles. » « Les bureaucrates badois sont incurables, » écrivait l’historien Gfroerer.

En bas comme en haut, la police se heurtait à d’imbrisables résistances. Les fabriciens réputaient non avenus les ordres de l’Etat : certains furent emprisonnés ; chez d’autres, on installa des garnisaires ; on crocheta les portes de plusieurs presbytères afin d’enlever les archives ; on dépensa plus de 18 000 florins dans l’occupation militaire de douze petites communes ; pour