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étaient réduites à faire des collectes pour leur assurer l’aumône du pain quotidien. Quant aux curés qui n’avaient pas l’indigénat badois, l’État les expulsait, et l’archevêque refusait de les remplacer : les paroisses étaient ainsi condamnées à un veuvage dont on ne pouvait prévoir la durée. Par surcroît, l’État faisait fermer le convict archiépiscopal qu’avait ouvert Vicari pour les jeunes prêtres ; on posait des scellés pour empêcher les clercs de rentrer par la porte, on installait des gendarmes de peur qu’ils ne rentrassent par les fenêtres.

De Carlsruhe à Fribourg et de Fribourg à Carlsruhe, les deux pouvoirs échangeaient des notes irritées : Vicari protestait, au nom de son droit à la libre administration des biens d’Église, contre cette façon de séquestre qui affamait les curés, et il faisait craindre à l’État que ces curés ne fissent grève, non pas assurément comme dispensateurs de sacremens, mais comme officiers d’état civil. L’État ripostait en portant de nouvelles atteintes à la propriété ecclésiastique, en chargeant les hauts fonctionnaires de constituer des commissions laïques pour l’administration de cette propriété, et en faisant main basse sur les archives curiales. Alors l’évêque pria les doyens de demander nettement aux fabriciens et trésoriers s’ils voulaient administrer les biens ecclésiastiques conformément aux intentions de l’Église ou s’ils les voulaient livrer au pouvoir civil. Des cas de conscience surgissaient, par là même, dans les couches profondes de la population ; les habitudes immémoriales en vertu desquelles le fabricien faisait son devoir sans péril étaient inquiétées et bousculées ; ce n’étaient plus seulement les curés, c’étaient les fidèles, qui se voyaient contraints, par leurs fonctions mêmes, à prendre parti pour ou contre l’État. Les registres, les comptes, les âmes, tout était en désarroi. À mesure que l’État ennuyait l’Église par des expédiens nouveaux, de nouvelles catégories de consciences subissaient la répercussion du conflit.

À la date du 18 mai, le gouvernement grand-ducal décida des poursuites contre Vicari ; son dernier mandement était son crime. Il avait, disait-on, « par l’altération de la vérité, par des inventions, excité les sujets à la haine et au mépris du gouvernement, et à la désobéissance aux lois. » Le 19, la justice pénétra chez lui, et, quatre heures durant, l’interrogea ; on chercha partout son brouillon, qu’on attribuait à une plume étrangère ; on ne trouva rien. À défaut de brouillon, ce fut sur Vicari qu’on fit