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« Vous pouvez faire la lecture maintenant, écrivait à un vicaire timide un fonctionnaire complaisant ; presque partout elle a été faite, et la pénalité sera presque nulle. » Alors le vicaire prenait courage, il lisait afin d’éviter la suspension, et puis écrivait au fonctionnaire, pour que la pénalité fût complètement nulle : « J’ai sauté tous les passages contre le gouvernement. » Dans l’histoire de toutes les persécutions religieuses, on rencontre ces petits compromis entre les agens et les victimes. Les hommes politiques auraient trop de chance si leurs vexations ne se heurtaient qu’à l’insurrection des grandes âmes, qui sont rares ; ils sont tenus en échec, aussi, par la coalition discrète et passivement résistante de tant d’âmes moyennes, qui veulent la paix. Mais sur le devant de la scène, à l’écart de ce vicaire et de ce fonctionnaire qui n’aspiraient qu’à faire le moins de besogne possible et le moins de bruit possible, il y avait des prêtres jaloux de faire tout leur devoir de prêtres, et des fonctionnaires Jaloux de faire tout leur devoir de chrétiens, et l’on voyait ces fonctionnaires refuser de poursuivre ces prêtres, et démissionner.

La mesquine persécution qui mettait en lumière l’organisation de l’Église provoquait la désorganisation de l’Etat. Mais dans cette Église même, n’y avait-il pas quelque moyen de faire brèche ? Bade chercha, crut avoir trouvé ; et Prokesch, qui représentait l’Autriche à Francfort, s’amusa beaucoup de l’invention. Il y avait à Fribourg quelques jésuites qu’on pria de s’en aller ; mais on leur faisait dire, en même temps, qu’ils seraient admis à rester s’ils voulaient bien blâmer un seul des actes de Vicari. Serait-ce pour rassurer leur propre conscience, ou pour embrouiller celles des fidèles, que les hommes d’Etat, parfois, s’essaient à mettre en collision séculiers et réguliers ? Les jésuites aimèrent mieux déserter Fribourg que de déserter la cause de l’archevêque ; derrière Vicari, l’Église était une. Le jour même où son mandement délictueux avait été lu dans les chaires, on avait vu s’agenouiller, à Saint-Martin de Fribourg, un des historiens les plus connus de l’Allemagne d’alors, le protestant Gfroerer, que sa biographie de Grégoire VII avait rendu célèbre. Il semblait qu’au nom du passé Gfroerer intervînt dans cette nouvelle querelle des investitures ; il se faisait catholique, se rangeait aux côtés de Vicari ; en sa personne, on eût dit que le moyen âge lui-même, dont il connaissait si bien