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— Je ne quitterai pas ce petit puits paisible,
Cet espalier par qui mon cœur est abrité,
Qu’Eres pour ses poignards retrouve une autre cible,
Mon céleste désir n’a pas de volupté !...


VA PRIER DANS SAINT-MARC


Va prier dans Saint-Marc pour ta peine amoureuse ;
Le temple de Byzance est sensible au péché ;
Un parfum de benjoin, d’ambre, de tubéreuse,
Glisse des frais arceaux et des balcons penchés.

Va prier dans Saint-Marc pour ta douce folie ;
Les pigeons assemblés sur la façade en or
Protègent les transports de la mélancolie,
Et les anges des cieux sont plus démens encor.

Va prier dans Saint-Marc ; les dalles, les rosaces
Ont l’éclat des bijoux et des tapis persans ;
Depuis plus de mille ans dans ce palais s’entassent
Les profanes souhaits parfumés par l’encens.

Vois, sous leurs châles noirs, les tendres suppliantes
Joindre des doigts brûlans et songer doucement.
Divine pauvreté ! cet Alhambra les tente
Moins que les cabarets où boivent leurs amans.

Va prier dans Saint-Marc. Le Dieu des Evangiles
Marche, les bras ouverts, dans de blonds paradis.
On entend les bateaux qui partent pour les îles,
Et les pigeons frémir au canon de midi.

Des mosaïques d’or, limpides alvéoles.
Glisse un mystique miel, lumineux, épicé,
Et vers la Piazzetta de penchantes gondoles
Entraînent mollement les couples exaucés.