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Le rire, les torrens, la tempête, les cris
S’échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l’étroite et démente Cythère !

Cet automne, où l’angoisse, où la langueur m’étreint,
Un secret désespoir à tant d’ardeur me lie ;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie !

— Pleureuses des beaux soirs voisins de l’Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues,
Pour tous les insensés qui marchent en riant.
Pour l’amante qui chante, et pour l’enfant qui joue.

O folles ! aux judas de votre âpre maison
Posez vos yeux sanglans, contemplez le rivage,
C’est l’effroi, la stupeur, l’appel, la déraison
Partout où sont des mains, des yeux et des visages.

Folles, dont les soupirs comme de larges flots
Harcèlent les flancs noirs des sombres Destinées,
Vous sanglotez du moins sur votre morne îlot ;
Mais nous, les cœurs mourans, nous, les assassinées,

Nous rôdons, nous vivons ; seuls nos profonds regards.
Qui d’un vin ténébreux et mortel semblent ivres.
Dénoncent par l’éclat de leurs rêves hagards
L’effroyable épouvante où nous sommes de vivre.

— Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L’esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l’être éperdu dans l’abîme s’achève ?

— O folles, que vos fronts inclinés soient bénis !
Sur l’épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d’espoir au silence infini.
Se pourrait-il vraiment qu’on marche sans qu’on tombe ?